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Henry-Hervé Bichat : l’humanité devra relever le défi de la biomasse

Comment voyez-vous l’impact des modifications climatiques sur les questions d’alimentation ?


Les questions environnementales et climatiques sont les problématiques fondamentales du 21ème siècle.. Dans le passé, ce sont des causes environnementales et climatiques qui sont à l’origine de la disparition des Vikings au Groenland, et des empires Maya et Khmers. Mais ces crises ne concernaient que des régions limitées. La crise écologique d’aujourd’hui est mondiale, et si elle ne menace pas la vie, elle menace la survie des sociétés humaines. Nous sommes aujourd’hui plus de 6 milliards d’hommes et nous serons 9 milliards en 2050. La Terre est capable d’alimenter une telle population : le grand problème sera la répartition de la ressource alimentaire au niveau des continents et des territoires car elle ne coïncide pas avec celle des populations



Comment se présente l’équilibre alimentaire des différents continents ?


L’Europe peut être largement autosuffisante, car elle utilise bien les sols et sa population devrait diminuer de 10% d’ici à 2050, en tenant compte de la Russie. L’Amérique latine connait une croissance démographique notable mais elle, dispose de grands espaces. L’Asie a connu une forte croissance démographique, et a déjà atteint un niveau de productivité agricole élevé depuis longtemps. Aussi est-elle dans une situation tendue, qui a d’autant plus de répercussions qu’en Chine et en Inde, entre autres pays, des couches entières de la population connaissent un accroissement de leur pouvoir d’achat et consomment une nourriture plus riche. La Chine est structurellement déficitaire pour la première fois de son histoire. Cela explique que l’Asie exerce et exercera une pression de plus en plus forte sur les marchés alimentaires mondiaux.


Et l’Afrique ?


L’Afrique est demeurée longtemps à l’écart des autres sociétés, en raison de ses caractéristiques géographiques et de milieux soumis à des pathologies lourdes qui ont rendu les contacts avec les autres civilisations difficiles. L’influence arabe elle-même florissante à Tombouctou, dés le Moyen Age, n’est pas sortie du Sahel jusqu’à l’arrivée des Européens. En effet elle s’est arrêtée à la limite des forêts tropicales où ni le cheval, ni le dromadaire, ni aucune autre bête de trait ne pouvaient être utilisés à cause de différentes maladies (maladie du sommeil, paludisme bilharziose,…).


L’Afrique est un milieu difficile, notamment pour les Européens qui s’y installaient. Le contact des sociétés africaines ( qui ne connaissait ni les techniques de l’agriculture permanente, ni l’écriture) avec les sociétés européennes (en pleine révolution industrielle) a provoqué un choc brutal. Les Européens ont bien sûr construit des routes et des chemins de fer et apporté des biens et services modernes dans tous les domaines mais les organisations sociales et culturelles des ethnies africaines en ont été profondément déstabilisées.


De ce fait la démographie a explosé depuis la seconde guerre mondiale, mais avec un cadre social et politique incapable d’apporter des solutions pour l’exploitation des ressources agricoles et naturelles. Sans parler des conséquences des mouvements de populations qui avec des rapports différents à la terre, créent des tensions par exemple entre nomades éleveurs et cultivateurs, L’agriculture africaine est demeurée presque totalement une agriculture reposant sur une propriété collective du sol, avec une tradition de cultures itinérantes de rendement faible, sans amélioration des sols. Ce mode d’exploitation était compatible avec une densité démographique très faible. Mais pour relever les défis d’une croissance démographique explosive il faut, pour améliorer les rendements, modifier d’abord le droit de propriété, un travail auquel s’attachent aujourd’hui plusieurs gouvernements africains.




Epuisement des intrants fossiles




Quelles sont donc les perspectives planétaires?


La population mondiale va croitre mais à partir de la fin du siècle, elle devrait culminer et même commencer à diminuer pour autant que l’on puisse se risquer à des prévisions sur une aussi longue durée.


Sur le plan technique, l’agriculture devra tenir compte de plusieurs contraintes. Il faut souligner l’importance de l’épuisement des ressources d’intrants minéraux, comme les phosphates et potasse, à l’horizon de la fin du 21ème siècle. Il faudra apprendre à se passer de ces éléments fertilisants. Il faudra aussi réduire ou se passer de pesticides pour protéger les cultures. En clair il faudra que l’agriculture réduise le recours aux apports exogènes, et réduise sa consommation d’énergie, tout en restant productive.


L’agriculture devra donc développer trois approches principales : une approche territoriale et patrimoniale avec une gestion durable des terres, des eaux et de la biodiversité, une approche innovante, avec une production accrue de ressources naturelles tout en limitant le -recours aux engrais et aux pesticides, et une valorisation globale et équilibrée de la biomasse.



les innovations devront-elles intervenir ?


Les innovations les plus spectaculaires se manifesteront d’abord dans les champs. Nous sommes habitués à des champs uniformes, couverts d’une seule culture, très homogène de surcroît, avec une séparation nette des champs et des forêts. Dans quelques décennies les paysages seront très différents. Il faudra mettre au point des systèmes dans lesquels les végétaux seront interdépendants, associés et complémentaires, de manière à ce qu’ils se protègent mutuellement, avec des cultures pérennes et des cultures annuelles, de manière aussi à tirer partie de toutes les ressources, le soleil, l’eau, les minéraux, sans les épuiser. Il faudra par exemple installer des végétaux capables d’aller chercher des minéraux dans le sous-sol rocheux, comme les arbres.



Quels seront les outils du futur ?


Les équipements, les machines seront très différents de ceux qui sont utilisés aujourd’hui. Les machines actuelles sont adaptées aux grandes surfaces de monocultures. Il faudra donc imaginer de nouvelles gammes d’équipement pour mettre en place et exploiter ces nouveaux systèmes de cultures associées. Les méthodes culturales changeront avec moins de labours, qui consomment beaucoup d’énergie, au profit des techniques de griffage limitées au seul lit de semence.


Une culture OGM biologique


Quel sera l’apport des biotechnologies ?


L’agriculture devra développer un large recours aux biotechnologies,y compris aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, qui seuls permettront une culture productive vraiment biologique, sans apport de molécules de synthèse. Déjà aujourd’hui la culture du coton biologique est très difficile car elle est l’objet d’attaques entomologiques sévères. A l’origine, le coton n’a pu d’ailleurs être développé que dans les zones sahéliennes en culture irriguée. Pour le cultiver en sec dans des milieux plus humides, ila fallu attendre l’arrivée des insecticides qui présentent cependant des réels problèmes, y compris pour la santé des cultivateurs. Le coton OGM peut éviter jusqu’à huit à dix traitements phytosanitaires, ce qui explique l’engouement qu’il suscite.


En étant un peu provocateur, j’estime que la crise écologique qui va marqué le 21ème siècle ne pourra trouver une solution qu’à travers un large recours aux cultures OGM. On peut imaginer, par exemple, des végétaux capables de synthétiser davantage de gaz carbonique. . Rappelons que dés l’origine de la Vie, il y a plus de 3 milliards d’années, le processus de la photosynthèse a pris deux formes dénommées C3 et C4. Or les végétaux C4 qui sont en faible nombre, maïs et canne à sucre notamment, synthétisent plus de gaz carbonique que des végétaux C3 qui sont les plus nombreux. Ainsi, par exemple, transformer génétiquement le riz, qui naturellement est un végétal en C3, en un OGM qui serait un C4 aurait des conséquences très favorables sur le climat tout en permettant de produire davantage de biomasse. Des végétaux C4 absorbant plus de gaz carbonique se substituant à leurs cousins en C3, c’est produire plus d’aliments tout en contribuant à la qualité de l’environnement !




Comment faudra-il gérer la biomasse ?


La production de biomasse doit répondre à des débouchés équilibrés. Elle devra être gérée en fonction de quatre sorties principales, une sortie alimentaire de loin la plus importante, une sortie chimique avec la production de molécules permettant une nouvelle chimie qui sera majoritaire dans ce secteur industriel à la fin du siècle, une sortie « matériaux », pour des matériaux renouvelables et une sortie énergie qui valorisera la biomasse restante.


Il faudra aussi que cette valorisation de la biomasse soit réalisée globalement. Tous les déchets doivent devenir des coproduits. Il faut imaginer la création de véritables bio-raffineries permettant d’extraire et de valoriser les différents composants dans des complexes intégrés comme il en existe un en Champagne, avec une bio-raffinerie composée aujourd’hui d’une sucrerie, d’une amidonnerie et d’une distillerie d’éthanol avec une centrale d’énergie commune, en cogénération, à base de biomasse, implantées sur un même site et interconnectées entre elles. Comme dans les raffineries de pétrole, il faut enfin noter que le cœur de ce complexe est un centre de recherche développement très performant.



Pour conclure ?


La crise écologique qui va marquer au moins la première moitié du 21ème siècle présente des perspectives très préoccupantes pour l’Humanité. Pourtant si les valeurs de progrès et de solidarité continuent d’être à la base des relations entre tous les peuples de la Planète, le génie humain est tout à fait capable de satisfaire les besoins d’une population de 9 milliards d’habitants ayant des standards de vie proches, en plus sobres, de ceux que nous connaissons en Europe.


Mais ce défi ne pourra être relevé qu’au prix d’une nouvelle révolution agronomique dont on commence à deviner les principales caractéristiques. En tout cas les gestionnaires des ressources naturelles vont se retrouver au cœur de l’actualité mondiale. Souhaitons-leur beaucoup de courage et bonne chance !


Recueilli par Michel Deprost


Michel.deprost@free.fr



Henry-Hervé BICHAT, une longue connaissance de l’Afrique.


Diplômé de Institut national d’Agronomie et de l’Université d’Abidjan (Côte d’Ivoire) est Ingénieur agronome et Ingénieur du génie rural. Il a parcouru pendant plusieurs décennies l’Afriquen en particulier l’Afrique de l’Ouest.


Après avoir travaillé au Ministère de l’agriculture de Côte d’Ivoire et au Ministère de l’Agriculture en France, Henry-Hervé Bichat a dirigé le Centre d’études et d’expérimentation du machinisme agricole tropical puis le Centre d’évaluation et de prospective du cabinet du ministre de l’Agriculture. Il a été Directeur scientifique (1981-1983) et Administrateur général (1984) du Groupement d’études et de recherches pour le développement de l’agronomie tropicale (GERDAT) devenu Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)


Henry Hervé Bichat a ensuite été Directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) , Directeur Général de l’Enseignement et de la Recherche du Ministère de l’Agriculture. Il Préside depuis 1997 l’Association Europol’ Agro à Reims. Il est Trésorier de l’Association Prospective 2 100 et Président du Club « Jardin planétaire » et président du Comité Franco-Sénégalais pour l’agriculture.

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