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Ioan Negrutiu, biologiste à l’ENS de Lyon: l’humanité doit se poser la question des ressources

Quel est le point de départ de votre constat ?
L’idée de colloque sur les ressources a été inspirée par le fait que nos sociétés humaines ont créé des déséquilibres avec leur environnement (y compris humain) et que la production, l’usage, l’accès aux ressources, toutes ressources confondues, est actuellement très problématique. Nous commençons à payer ces déséquilibres et nous les paierons de plus en plus cher. Il faut peut-être tout repenser en passant d’abord par la case « ressources », au sens large. Soumettre cette démarche à l’épreuve de la science, par une approche interdisciplinaire, est le mobile de ce colloque.
Existe-t-il des modèles, des repères ?
Oui, la biosphère fonctionne comme un jeu de ressources. Les systèmes naturels se caractérisent par la richesse et la diversité crée la robustesse, on dit résilience. Nous sommes encore à une époque où l’économie n’a pas encore intégré, loin de là, l’écologie, le « capital naturel » est donc gaspillé et son rendement en chute libre. Il y a eu l’époque des physiocrates, très précautionneux sur le capital « terre », l’époque des marginalistes ensuite, ces derniers pensant toujours que la technologie et le marché apportent des réponses à tout et que la biosphère fait partie de l’économie. En économie, la prise en compte de l’écologie n’est donc que « marginale ».
Quels sont les problèmes avec cette vision des choses ?
Nous vivons dans une économie d’hyper-extraction, qui demande toujours davantage de ressources, consciencemment ou non : dans notre vie quotidienne, pour nous déplacer, pour communiquer, pour nous nourrir. Nous ne voulons pas admettre notre empreinte écologique, il y a comme une sorte de refoulement. C’est le cas au niveau de la société, comme au niveau de l’individu. Mais en réalité on est tous centrés, formatés « ressources ».
Nous prenons toujours plus à la nature, nous créons une dette sans jamais rembourser, sans réparer les dommages, au point d’arriver à un forçage systématique à tous les niveaux de la vie économique et sociale. On ne paie pas l’impôt « biosphérique » non plus, ou alors ce sont les plus pauvres et les plus faibles qui paient : sur une population de presque 7 milliards de personnes, les deux milliards les plus pauvres sont en première ligne. En France on est dans une même logique.
Quand ce décrochage par rapport au renouvelable s’est-il produit ?
Il s’est produit quand on a commencé à puiser dans les ressources énergétiques fossiles, le charbon, puis le pétrole, le gaz, la croissance économique a été dopée, phénoménale. Tout s’est développé et accéléré, les transports, l’industrie, l’urbanisation, jusqu’à ce que nous nous heurtions aux limites actuelles.
Quelle différence y-a-t-il entre les systèmes naturels et le fonctionnement actuel des sociétés humaines par rapport à l’environnement ?
Les systèmes naturels fonctionnent en circuit. Nous sommes plutôt dans une logique linéaire. Ce n’est pas viable. On a cru s’affranchir de limites, mais la réalité nous oblige à rentrer à la maison, chez la mère Nature : reprendre notre place et jouer le jeu de la vérité écologique.
A quoi faut-il revenir ?
Nous sommes partie intégrante des écosystèmes planétaires. Il faut lire Jean DORST, (la Force du Vivant), Jared DIAMOND (Effondrement), mais aussi Lester BROWN (la série de ces « Plans B »), Joseph STIGLITZ (Un autre monde, Contre le fanatisme du marché), Michel SERRES (Temps des crises) ou Edgar MORIN (La voie). Des scientifiques, des philosophes ont dressé le diagnostique global. Maintenant il faut transposer leurs idées et changer notre modèle dont la principale caractéristique est, je répète, le « forçage » à tous les niveaux.
Les végétaux (c’est l’avantage de faire sa recherche dessus), nous montrent tous les jours la voie : ils fonctionnent durablement, efficacement, avec une tenace patience. C’est tout le contraire de notre profonde démesure.
Pour la biodiversité par exemple, que faut-il faire ?
Le changement climatique, la biodiversité sont sur le devant de la scène. Mais on voit bien que tout cela doit passer par la case « ressources » : la biodiversité en est une. Si l’on doit économiser les ressources non durables, fossiles ou minérales, cela veut dire que nous devons compter sur les ressources durables et renouvelables, qui sont les ressources biologiques. Les ressources biologiques sont renouvelables, mais à certaines conditions. C’est pourquoi les sciences de la Vie et de la Terre doivent passer au premier plan. C’est leur moment, comme le suggère Michel Serres, après celui des mathématiques, de la physique ou de la chimie. L’écologie scientifique peut réunir le mieux aujourd’hui toutes les disciplines, personne ne sera laissé au bord de la route. La conférence de Nils Stenseth, biologiste de l’Université d’Oslo, sera une illustration de haut vol.
On doit inscrire notre développement dans les capacités de productivité des systèmes vivants et réparer les atteintes qui leur ont été portées depuis des décennies, avec la déforestation, les difficultés liées à la ressource eau, à l’énergie etc. Mais aussi repenser les inégalités socio-économiques. Le prix est abordable : il représente le quart des budgets militaires, calcule Lester Brown.
Quelles sont les échéances ?
C’est 2025 au plus, c’est-à-dire demain. Nous seront 8 milliards, c’est certain. Et il est aussi certain que notre modèle ne sera pas tenable avec la généralisation du mode de vie actuel des habitants des pays les plus développés. C’est ce modèle qui est en jeu, rien d’autre. Un retour aux ressources de base est en train de s’opérer, par la force des choses.

Quelles sont les priorités ?

La nourriture et l’énergie. On passe de l’état de largesse à celui de « sécurité », de nécessité. Pour l’énergie, il faut considérer que le Soleil offre une source énorme : la révolution de cette énergie reste à faire et c’est elle qui va dicter le rythme et l’ampleur des diverses solutions à mettre en oeuvre. Pour la nourriture, il faut d’une manière urgente repenser le fonctionnement agricole et agro-industriel mondial.

Dans quel sens ?

Les deux milliards de personnes qui ne mangent pas à leur faim sont celles qui cultivent la terre (l’agriculture occupe un peu moins de 40% des terres émergées). C’est un scandale. L’agriculture est intimement liée à son environnement. Elle ne peut avoir partout les mêmes rendements, pour des raisons pédologiques, climatiques, etc. Or le marché mondial fondé sur un apparent libre échange impose les prix les plus bas, la productivité la plus grande. Avec les conséquences que l’on voit.
Il faut donc repenser l’agriculture en premier, la sortir des règles inadaptées de l’OMC et lui redonner une dimension locale forte. Il faut donc repenser même le statut juridique de l’alimentation et de la terre, c’est ce à quoi réfléchira lors du colloque le juriste Francois Collart-Dutilleul.Par exemple, cela veut dire que le projet de Politique Agricole Commune de l’Europe pour 2020 doit être élaboré d’une manière beaucoup plus large, d’une manière transdisciplinaire, en ne cherchant pas seulement à trouver des compromis entre lobbies.

Comment aller vers une gestion soutenable des systèmes vivants ? Comment aller vers ce nouveau mode de fonctionnement des sociétés humaines ?
Il faut avoir sous les yeux l’ensemble des éléments, en commençant par les ressources, qui sont au cœur du colloque de l’IUF les 30 et 31 mai. En partant des « moteurs » actuels des sociétés occidentales – la compétition, la privatisation, les externalités négatives, le fait que nous vivons à crédit vis-à-vis de la nature, vis-à-vis des plus pauvres, il faut les confronter avec des concepts comme l’efficacité, la « soutenabilité », la résilience, les biens publics.
On doit alors être capable de se mettre d’accord sur des futurs possibles, basés sur la solidarité, sur la sobriété, qui n’est que la prise en compte des ressources réelles disponibles. La conférence de Robert Costanza va nous éclairer en ce sens.

Et tout cela peut se poser de l’échelle locale à l’échelle globale. Il faut réaliser au niveau local la mise en place des réseaux sociaux qui permettent d’organiser la mise en valeur et la gestion durable des ressources, pour la satisfaction des besoins vitaux. Evidemment la question des besoins vitaux doit être débattue. Le futur Institut des Ressources et des Biens Publics reprendra les acquis du colloque et aura pour mission de stimuler et de coordonner ce type de réflexions et de recherches.

recueilli par Michel Deprost michel.deprost@enviscope.com

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