L’ombre va disparaître des bras de l’Ain. Une disparition inéluctable, résultat probable de la perturbation de leur habitat par les barrages amont. Cette disparition, liée au bouleversement lent des milieux, qui entraînera la disparition des pêcheurs. Elle fait partie des réponses du système fluvial sur lequel travaille Hervé Piégay, géographe, directeur de recherche au CNRS , membre du Laboratoire Environnement, Ville Société ( EVS) qui fait partie du Cluster Environnement Rhone-Alpes.
Des piles de ponts aux fondations mises à nu, des digues fragilisées, des quais menacés comme à Die, des captages qui tarissent, des nappes phréatiques qui baissent ou des inondations meurtrières, des bras qui meurent , des espèces végétales ou animales qui s’éteignent : les écosystèmes des cours d’eau peuvent être malades et certains usagers et riverains pâtissent de plusieurs siècles d’une gestion trop sectorielle .
Le fonctionnement des cours d’eau peut être perturbé par bien des facteurs. Les pollutions perturbent le fonctionnement biologique du milieu fluvial. Mais un des troubles les plus fréquents, les plus graves, est souvent la même, une perturbation dans la mécanique du fleuve, qui est un ensemble de forces : la force du courant, qui joue sur le milieu. Dans les années soixante, la connaissance des cours d’eau comme système physique a été perfectionnée et des modèles précis ont été mis au point. Les chercheurs de la région ont été déjà bien placés dans cette recherche mondiale.
La vision des systèmes a été complétée en incluant les données naturelles, le rôle de milieux, le rôle de la végétation par exemple. « Les arbres modifient la rugosité, réduisent l’écoulement, et la place disponible pour l’eau, ce qui accentue l’élévation du niveau de l’eau. Une végétation plus rare accroît l’érosion » explique Hervé Piégay.
L’effet des actions humaines sur les cours d’eau est aussi mieux compris. Les sociétés agissent à tous les niveaux d’un bassin versant, qu’il s’agisse de l’occupation du sol, d’aménagements inscrits sur le réseau amont ou plus à l’aval. Toutes ces actions ont des effets immédiats ou différés sur plusieurs décennies qui rendent complexes la trajectoire temporelle de ces milieux et de fait de leur usage.
Dans les années quatre vingt, la connaissance du fonctionnement des systèmes fluviaux a été précisée. Les chercheurs ont ajouté dans le scénario les interventions des sociétés humaines. « Nous avons maintenant une idée précise de l’interaction entre les systèmes naturels et l’Homme » explique Hervé Piégay. Les chercheurs peuvent donc mettre à disposition des ingénieurs, des aménageurs, des gestionnaires, de toute la société, leurs connaissances fondamentales.
Ils permettent d’établir des diagnostics. De mesurer l’impact des exploitations de granulats dans les lits mineurs des fleuve, interdites depuis une vingtaine d’années. Dans des vallées de l’Arve, du Fier, des incisions de plus de dix mètres ont été mesurées. Le Drac, la Romanche n’ont pas été épargnés, comme la Drôme, l’Ouvèze, la Durance, l’Eygues. L’Ardèche, près d’Aubenas est descendue de 3 mètres.
Les barrages hydroélectriques ne sont pas non plus innocents. Ils fournissent une énergie renouvelable au prix de perturbations à long terme. Si les barrages au fil de l’eau ( sur le Rhône , en dehors de Génissiat) ne retiennent pas de sédiments, les réservoirs plus profonds perturbent le tapis roulant. « Le barrage retient les matériaux. L’érosion régressive est moins importante, mais l’érosion progressive se répercute loin vers l’aval ». Les conséquences des barrages de l’Ain sont très nettes. La nappe de la basse vallée a été abaissée de deux mètres dans le secteur de PRIAY. Des milieux qu’un programme LIFE (soutenu par l’Europe) voulait protéger sont menacés.
Réparer au mieux
La recherche a permis de comprendre le mal. Elle permettra de prévenir d’autres erreurs. Elle peut aider à corriger. Certains corrections demanderont plusieurs décennies, sans jamais, évidemment redonner aux paysages leur aspect passé. « La notion de réversibilité n’existe pas, on peut au mieux réparer » explique Hervé Piégay. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve…
Encadré
Hervé Piégay trace sur le tableau un schéma simple. Une ligne légèrement inclinée figure le profil d’une rivière. Le chercheur trace la fosse provoquée par une extraction de granulat, de ces exploitations qui ont proliféré au cours des années 70, 80. Hervé Piégay simule l’effet de l’écoulement sur cette perturbation. A l’aval, la force de l’eau sortant de la fosse, emporte des matériaux et crée une érosion progressive. A l’amont de la fosse, la force de l’eau creuse aussi le lit et crée une érosion régressive. A l’amont et à l’aval de l’éxtration, le lit est approfondi, incisé. L’impact peut être prolongé sur des kilomètres, car le phénomène crée des perturbations mécaniques en chaîne.
En expliquant le phénomène par la mécanique des fluides, les chercheurs sont entrés au cœur du fonctionnement des cours d’eau. Un peu comme des médecins ayant compris un mécanisme physiologique essentiel source de pathologies multiples.
Un cours d’eau est un tapis roulant qui transporte des matériaux, fines ou galets. En fonction de son débit, l’eau exerce sur le support sur lequel elle s’écoule, une force capable d’arracher des matériaux et de les transporter à l’aval. La taille des matériaux, et la distance de transport dépendent de la force du courant.
Pour en Savoir plus sur le Laboratoire Environnement, Ville, Société, ( Université Lyon 2, Lyon 3, Ecole Normale Supérieure de Lyon Lsh, Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat, INSA) membre du Cluster de recherche Environnement, soutenu par la Région Rhône-Alpes :
Pour en savoir plus sur le Cluster de recherche Environnement : http://www.cluster-environnement.net/
Le Cluster Environnement Rhône-Alpes, dans son objectif de diffusion des travaux de recherche, et Enviscope, dans son objectif de diffusion de l’information scientifique régionale ont décidé de publier une série de huit articles consacrés à huit recherches en cours dans des laboratoires de la région. Cette série est financée par le budget diffusion des résultats de la recherche du Cluster.