Le Chlorpyrifos, un insecticide utilisé dans de nombreux pays, perturbe la transformation par les hormones thyroïdiennes de larves en jeunes poissons mangeurs d’algues. En broutant moins les algues, les poissons laissent se développer une concurrence au détriment des coraux. L’ étude publiée le 30 octobre 2017 eLife estl le résultat d’un travail d’équipes de l’’Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon et du Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l’Environnement de Moorea, en Polynésie française.
Les récifs coralliens sont en péril. Depuis plusieurs années on observe un déclin des populations adultes de poissons sur de nombreux récifs . Ce déclin serait dû non seulement à une mortalité accrue des adultes, mais aussi à une baisse dans la capacité des récifs, en particulier les récifs dégradés, à attirer les larves océaniques. En effet, la plupart des poissons coralliens ont un cycle de vie en deux parties distinctes. A une phase larvaire dans l’océan succède une phase juvénile/adulte dans les récifs coralliens.
L’entrée des larves dans le récif corallien, le recrutement larvaire, est une étape critique du maintien des populations adultes dans le récif. Le succès du recrutement diminue fortement avec la dégradation des habitats récifaux. Les populations adultes de poissons coralliens décroîtront sur les récifs dégradés tant que l’intensité du recrutement larvaire ne contrebalancera pas la mortalité des adultes. La compréhension du processus de recrutement larvaire est primordiale pour préserver les populations de poissons coralliens.
Les équipes de Vincent Laudet de l’Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon (IGFL, ENS de Lyon, CNRS UMR 5242) et de David Lecchini du Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE, EPHE, USR 3278) en Polynésie française, ont utilisé un poisson corallien, le chirurgien bagnard Acanthurus triostegus pour comprendre la transformation de la larve en juvénile. Chez cette espèce une larve océanique carnivore qui se nourrit de zooplancton, est transformée en juvénile herbivore qui broute des algues des récifs.
Cette transformation ressemble à la transformation d’un têtard en grenouille. Elle est contrôlée par l’hormone thyroïdienne. Or, les taux d’hormone thyroïdienne dans l’organisme du poisson atteignent un maximum lors du recrutement larvaire du poisson chirurgien. Ils diminuent chez les juvéniles après la métamorphose. En manipulant l’hormone thyroïdienne, les chercheurs ont pu perturber la transformation normale du poisson. Ces résultats généralisés à d’autres espèces de poissons coralliens permettent de conclure que le recrutement larvaire des poissons coralliens est contrôlé par l’hormone thyroïdienne.
Or certains polluants affectent les hormones thyroïdiennes. Les chercheurs ont ainsi traité des larves de poisson chirurgien avec du Chlorpyrifos, un insecticide très utilisé en agriculture qui s’infiltre dans les eaux du sol, rejoint les eaux des rivières et pollue les estuaires. Il est souvent rencontré au sein des récifs. Le pesticide est connu chez d’autres espèces pour perturber l’hormone thyroïdienne. Le Chlorpyrifos induit toute une série d’anomalies chez les jeunes larves de poisson chirurgien en train de se transformer. Il altère par exemple la capacité des juvéniles à se nourrir sur le gazon d’algue des récifs et diminue leur rôle écologique d’herbivores.
De nombreuses études suggèrent que des herbivores efficaces sont cruciaux pour l’équilibre des récifs. Ils contribuent à diminuer la croissance des algues en concurrence avec les coraux. Diminuer la quantité des herbivores par une surpêche ou en affectant leur recrutement dans le récif, peut donc avoir un impact très fort sur l’équilibre global et l’état de santé des récifs coralliens.
