Lionel Chauvin , Président du Conseil départemental du Puy de Dôme, rappelle le rôle capital de l’agriculture et de l’élevage pour l’entretien des campagnes, à l’heure où les incendies ravagent des milliers d’hectares. Les intertitres de cette tribune libre sont de la rédaction d’Enviscope.

Alors que, dans l’Aude, des centaines d’hectares sont partis en fumée lors d’incendies historiques attisés par le vent, la sécheresse et l’abandon des terres, nous ne pouvons plus fermer les yeux sur la réalité : ce qui brûle là-bas aujourd’hui peut brûler ici demain.
Les feux de végétation ne sont plus l’apanage du seul Sud méditerranéen.
Ils remontent, année après année, vers les massifs de moyenne montagne. La Chaîne des Puys – faille de Limagne, territoire mondialement reconnu et plus largement notre département, n’échappent pas à cette trajectoire. Dans le Puy-de-Dôme comme dans l’Aude, la cause est souvent la même : la disparition progressive de l’agriculture.
Le recul des éleveurs, bergers et agriculteurs de montagne laisse de plus en plus souvent la place à la friche, à la broussaille, à des bois denses et à des villages parfois désertés — autant de matières inflammables… et de « bombes sociales » à retardement.
Ici, au cœur des volcans d’Auvergne, les paysages que l’on croit préservés et immuables ne tiennent leur équilibre uniquement grâce à la main de l’homme — celle de celles et ceux qui se battent pour maintenir le cœur battant d’une ruralité qui lutte pour sa survie économique et son existence, tout simplement.
Dans ce monde globalisé, où les distorsions réglementaires fragilisent — pour ne pas dire condamnent — nos exploitations et nos élevages français, où les départs massifs à la retraite atteignent leur pic, où le renouvellement des générations s’effondre faute de conditions de vie attractives et de rentabilité suffisante, nos paysans souffrent. Triste réalité.
La main qui fauche, qui pâture, qui entretient, se fait moins ferme.
Celle qui, depuis des générations, façonne un territoire résilient et durable, est aujourd’hui montrée du doigt, caricaturée et humiliée par certains « bobo-écolos » pétris de contradictions, dont les discours sont amplifiés sans recul par quelques « sachants d’opérette » avides de buzz médiatiques. Résultat : des tensions accrues et un agri-bashing permanent sur les réseaux sociaux où les contre-vérités écrasent la voix de ceux qui connaissent le terrain. Cocktail explosif qui écartèle violemment les citoyens et les consommateurs pour qui c’est désormais tempête sous un crâne.
Épuisée par des charges de travail colossales et une pression psychologique extrême, soumise à une Union européenne qui devrait commencer par balayer devant sa porte en matière de normes, découragée par des politiques publiques incohérentes (ce qui est bon ici ne l’est pas ailleurs, et inversement), caricaturée dans le débat public par des extrémistes, vert pomme ou rouge vif, qui ignorent tout de la réalité du monde rural, la paysannerie est aujourd’hui en danger de mort imminente — et avec elle notre société tout entière.
Certains rêvent d’une nature « libre », rendue à un état sauvage, sans culture ni entretien. Mais dans les faits, cela signifierait une véritable catastrophe sociale, la dégradation lente mais certaine des milieux naturels et l’explosion du risque d’incendie.
Et lorsque le feu surgit, que fait-on ? On appelle le pompier.
Dans le Puy-de-Dôme et depuis 2021 nous ne cessons de lui donner davantage de moyens. Ce même pompier qui, dans certains territoires, subit de plus en plus d’incivilités – souvent dans les bastions électoraux de ceux qui opposent volontairement urbanité et ruralité… Comme si le blé, le maïs, la viande ou le lait pouvaient pousser ou être produits par enchantement (et à bas prix s’il vous plait) dans des jardinières, sur des dalles de béton, et surtout… sans paysans.
Faut-il en vouloir à celles et ceux qui vivent dans ces villes et quartiers ? Bien sûr que non.
Faut-il en vouloir à ceux qui attisent les braises de la division, polluent les débats et désinforment les urbains sur la réalité du monde rural ? La réponse est bien évidemment oui !
Ce pompier que l’on admire mais que l’on envoie au front pour protéger ce que l’on n’a plus voulu ou plus su entretenir, est mis en danger chaque fois qu’il part lutter contre les grands feux. Il est temps, dans le Puy-de-Dôme comme ailleurs, de lever le voile sur l’aveuglement et les écrans de fumée entretenus par certains.
Manger local, profiter de paysages époustouflants, bâtir une société équilibrée fondée sur les complémentarités plutôt que sur les antagonismes… cela ne se décrète pas. Cela se construit, jour après jour, dans la durée, loin du sensationnel, des échéances électorales et des punchlines de quelques agitateurs politico-médiatiques.
Le pastoralisme, l’élevage raisonné et durable, les prairies gérées, les haies bocagères, les chemins entretenus… ne sont pas des reliques du passé. Ce sont des dispositifs vivants, notre patrimoine commun, mais aussi de véritables outils de prévention des incendies. Ce sont des réponses concrètes au défi climatique, des outils d’avenir et une part essentielle de notre culture française. Aux élus, décideurs et institutions de rendre à l’agriculture sa juste place dans les politiques publiques de transition écologique et de souveraineté alimentaire. Ces objectifs ne sont pas antagonistes mais complémentaires — à condition d’en avoir collectivement la volonté et le courage. Car le paysages inscrits au patrimoine mondial par exemple tout comme tous les autres nécessitent d’être accompagnés afin de pouvoir concilier les usages entre tous ceux qui y vivent, y travaillent et qui le connaissent et l’aiment — notamment les paysans.
Soutenons-les, pour ne pas dire soutenons-nous nous-mêmes.
Dans l’Aude, aujourd’hui, c’est l’urgence qui a parlé.
Ne laissons pas demain le feu dicter l’avenir de nos territoires. Dans le Puy-de-Dôme, il est encore temps de prévenir, d’agir, de soutenir ceux qui empêchent la nature et notre société de s’embraser.
Car si nos campagnes se vident, si l’agriculture meurt, il ne restera qu’un réflexe : appeler les pompiers. Encore, encore et encore.
Mais que restera-t-il à protéger ? Des cendres.
Des campagnes mortes. Un vivre-ensemble réduit en poussière…
Agissons vite, pour qu’un jour il ne soit pas définitivement trop tard.