Environnement

Le brio du bonus-malus automobile, par Pierre Mulin, d’Objectif Carbone

Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, la contradiction qu’apporte Remy Prud’homme l’est certainement aussi. Gardons nous de les associer. Rappelons tout d’abord le sujet : le Bonus-Malus est une mesure mise en place par Jean-Louis Borloo pour “orienter les producteurs et les consommateurs vers des produits moins consommateurs d’énergie”.


Avec 2 050 283 véhicules neufs vendus, l’année 2008 marque un recul de 0,7% par rapport à 2007 (source CCFA). Ces chiffres contredisent M. Prud’homme qui avait prédit +2%. Peu importe, le Bonus-Malus étant un outil destiné à vendre des voitures qui consomment moins, et non à influer sur les ventes ou sur la circulation. Cet objectif a été atteint : la réalité a même dépassée les prévisions. Si l’on attribue à la mesure un gain moyen de 7 g CO2/km, elle contribue en première approche à une réduction des émissions annuelles de 180 000 tonnes de CO2 (13 000 km/voiture/an – source : comptes du transport).




Le déséquilibre essence – diesel est réel mais il est plus ancien. Le Bonus Malus l’a accéléré : 77% de voitures neuves étaient des diesel en 2008 contre 74% en 2007, soit un écart de 60 000 voitures, ou encore 0,2% du parc qui comprend environ 33 millions de voitures particulières. Mais cette répartition vient des années 80 et des politiques tarifaires sur les carburants.


Quelques commentaires sont d’ailleurs nécessaires sur le déséquilibre demande / offre de gazole.


Tout d’abord, les raffineries existantes ne peuvent pas changer instantanément les répartitions de leurs différents produits (essence, gazole, autres produits). Ce changement nécessite des investissements et du temps. C’est pourquoi certaines zones géographiques équilibrent cela via des échanges commerciaux. A ce jour et à titre d’exemple, la répartition essence / gazole en sortie de raffinerie pour la société Total, acteurs majeurs en Europe est de 31% d’essence pour 69% de gazole.


La demande française de gazole est constituée de la consommation des voitures particulières (27 millions de m3 de carburant, dont 60% de gazole) ; de la consommation des véhicules utilitaires légers et des poids lourds (19 millions de m3 de carburant, dont 97% de gazole) et par la consommation de fuel domestique (14 millions de m3)


Un déséquilibre


Au global, ces besoins représentent 50 millions de m3 de gazole, soit 82% des besoins essence + gazole. Un tiers de ce gazole est, on le voit, destiné aux voitures particulières.


Ce déséquilibre est en partie pris en compte via des échanges de produits raffinés avec les Etats-Unis. Il y a environ 100 millions de m3 de pétrole raffinés en France par an, avec une production d’ environ 43 millions de m3 de gazole, sur la base des chiffres de Total, pour un besoin identifié d’environ 50 millions de m3. Il faut donc en importer environ 7 millions de m3.



Voilà pour la situation, et c’est un sujet à part entière. Affirmer que le Bonus Malus a dégradé cette situation, c’est s’attarder sur le fait qu’il faudra maintenant importer 7,05 au lieu de 7 millions de m3. Dire que cette dépense de 300 millions augmente soit les impôts, soit la dette (sachant que les recettes de l’état sont d’environ 300 milliards d’euros), revient à dire qu’un couple avec un revenu de 30 000 euros par an et dépensant (de manière imprévue) 30 euros devra soit réaliser un emprunt auprès de sa banque, soit demander une augmentation à son employeur.



De plus, ne considérer que la dépense, c’est oublier les gains associés. Ces gains sont multiples. Il y a les gains pour le climat : 2 millions de voitures qui émettent 7 g CO2 de moins, c’est une économie annuelle de 180 000 tonnes de CO2, soit 3,6 M€/an (20€/tCO2).


Il y a des gains pour les usagers : 2 millions de voitures qui émettent 7 g CO2 de moins, c’est une économie annuelle d’environ 74 millions de litres de carburant ou encore 465 000 barils de pétrole soit 23 M€/an (50€/baril). Les voitures ayant une durée de vie moyenne d’environ 15 ans, c’est au final une mesure qui permet d’économiser environ 100 millions d’euros et de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.


Industrie automobile : reconversion nécessaire


La prise en compte des contraintes sur les réductions de gaz à effet de serre va entraîner des changements sans précédent au sein de l’industrie automobile ET pour les utilisateurs de voiture. Le Bonus Malus montre un chemin. Il ne faut pas le confondre avec les aides dont cette industrie a besoin pour faire face aux secousses de 2008, et dont elle aura probablement à nouveau besoin lors des prochaines répliques d’une toute autre ampleur.


Ne jugeons donc pas le Bonus Malus comme s’il devait venir au secours de cette industrie. Ce n’est pas son rôle.


En conclusion, on peut affirmer que le Bonus Malus est une mesure qui permet de contribuer aux réductions nécessaires tout en étant économiquement viable. Ne cherchons pas à la diaboliser et gardons présent à l’esprit que beaucoup d’autres mesures seront nécessaires, souvent coûteuses et contraignantes.


Soyons également conscient du pouvoir de chacun d’entre nous. Si tous les conducteurs avaient réduit leurs trajets de 1% en 2008 (130 km en moyenne), cela aurait permis une réduction des émissions de 730 000 tonnes de CO2. Bravo aux mesures, surtout lorsqu’elles sont aussi efficaces ! Soyons conscients et acteurs, pour booster l’adaptation nécessaire !




Pierre Mulin Objectif Carbone pierre.mulin@objectifcarbone.org


Objectif Carbone est un bureau d’études spécialisé dans les émissions carbone. Il a notamment réalisé le bilan carbone de la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement de Rhône-Alpes.



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