Se distraire à en mourir, par Neil POSTMAN
Le média, c’est le message. Marshall Mac Luhan l’avait dit. Neil Postman le pense aussi et le démontre dans un ouvrage publié pour la première fois en 1985 aux Etats-Unis, traduit en français en 1986, épuisé, et traduit de nouveau un quart de siècle plus tard.
La démonstration de POSTMAN est simple. La communication écrite, imprimée, est la seule à permettre une transmission de l’information qui permette la réflexion. La lecture exige distance par rapport au texte, concentration, effacement des sentiments, compréhension globale. La communication parlée, la communication par l’image ne peuvent s’abstraire des impressions, de sentiments.
Pour POSTMAN, l’apogée de la communication écrite a été représentée par la communication typographique de l’Europe de la Renaissance. L’imprimerie a répandu non seulement la Bible, mais en général, des textes imprimés qui ont permis une explosion de la pensée, de la réflexion, et de la science.
Communication typographique
Cette communication typographique s’est épanouie aux Etats Unis, avec l’arrivée de Pilgrim Fathers, puis avec la constitution d’une société éprise de lecture, de librairies, de conférences, d’écriture. Les Etats Unis naissants sont une des sociétés les plus consommatrices de livres, construisent bibliothèques et universités.
Cette apogée se termine avec la fin du monopole de la communication typographique, et l’apparition du télégraphe. L’électricité permet certes la transmission rapide de mots, d’information. Mais ces derniers, désormais nombreux, sont en même temps coupés de leur contexte, dénués de sens. Les nouvelles arrivent de partout vers des lecteurs pour lesquels elles sont inutiles, des lecteurs incapables de les comprendre réellement.
C’est l’irruption de l’information « coucou nous voilà ! » qui surgit et disparait. C’est l’apparition des « faits du jour » livrés sans éclairage.
Cette évolution qui est appauvrissement est accentuée par l’arrivée de la photographie qui par nature rend impossible une vraie transmission d’information. La photo « d’un arbre » est la photo de « cet arbre ». Elle n’est pas le mot « arbre ». La photographie un instant, un morceau de réel, sorti de son contexte. Elle est essentiellement incapable de véhiculer des notions abstraites.
Dans le développement de la communication par l’image, Neil POSTMAN explique comment il y a trente ans la télévision était devenue le média qui dictait la manière dont les autres médias devaient présenter l’information, sur le plan de la mise en page comme sur le plan des textes. La presse écrite et la radio ont été elles mêmes touchées par ricochet, même si elles ont atténué certaines dérives.
Télévision américaine
Neil POSTMAN développe longuement les excès de la télévision américaine il y a un quart de siècle. Les parallèles avec la France ne sont pas aisés à établir. POSTMAN pose assez bien les problèmes des rapports entre la télévision et l’éducation, en rappelant qu’une partie des problèmes de l’éducation, dans la société, sont posés par la télévision. La télévision laisse penser qu’on peut apprendre sans exposé préalable, sans complexité, en se divertissant. La question demeure d’actualité.
POSTMAN met l’accent sur les risques du divertissement en général et explique justement que les dictatures ne viennent pas seulement sous les traits de Big Brother qui surveille tout le monde.
A Orwell et « 1984 », POSTMAN préfère le modèle de dictature proposé par Aldous Huxley qui décrit dans « Le Meilleur des Mondes », une dictature qui rend au contraire tout plaisant, tout accessible. Huxley, enseigne qu’à une époque de technologie, la dévastation spirituelle risque davantage de venir d’un ennemi au visage souriant que d’un ennemi qui inspire le soupçon et la haine.
Il est vrai que le rire, la dérision, la futilité, la caricature, les « mondanités, les petites phrases, et plus récemment les vidéos dérobées, les faux pas aux échos amplifiés, se sont énormément développés. Pour évoquer la France, on peut évoquer les Guignols, mais aussi de multiples de chaines de radios ou des émissions de télévision. Il suffit de voir aussi, dans les kiosques la place désormais prise par une presse satirique souvent en fait (en dehors du Canard Enchainé) peu informée.
Il est difficile de se mobiliser contre ce type de dictature, prévient POSTMAN. « Les philosophes ont appris à lutter contre les dictatures et les prisons, pas contre des dictatures qui ne formulent aucune idéologie. » « La conscience publique n’a pas encore assimilé le fait que tout technique est porteuse d’une idéologie, alors que devant nos yeux, les nouvelles techniques ont transformé tous les aspects de la vie au cours des quatre vingt dernières années ». POSTMAN souligne aussi que « les changements techniques dans les modes de communication sont encore plus chargés d’idéologie que les changements dans les modes de transport ».
Neil Postman suggère enfin de demander aux écoles « de s’attaquer à la démystification des médias, c’est leur demander une chose qu’elles n’ont jamais faites ». Les réponses sont encore à apporter.
