Catherine REGNAULT-ROGER: la lutte intégrée est la voie de l’avenir pour l’agriculture

Les pesticides de synthèse ont  « mauvaise presse ». Quelle évaluation peut-on dresser des utilisations passées, de leurs effets environnementaux et sanitaires ?

Catherine REGNAULT-ROGER : Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Les pesticides de synthèse, c’est comme les antibiotiques. Il y a avant et après. Avant les pesticides, on  déplorait des pullulations d’insectes ravageurs et des maladies qui pourrissaient les récoltes, « des fléaux de Dieu ». L’état et les revenus des campagnes étaient précaires.

 Ces pesticides de synthèse ont été utilisés abondamment, pas toujours avec discernement car on ignorait les effets secondaires préoccupants de certains usages. Ces excès ne doivent pas occulter que l’utilisation des pesticides de synthèse a amélioré considérablement l’état phytosanitaire des cultures et de nos campagnes. Qui regrette aujourd’hui que le doryphore, arrivé en 1917 avec les armées américaines ne soit plus un fléau ?

 Mon livre dresse cette évaluation des utilisations passées, non pas sur un mode catastrophiste mais dans un contexte qui retrace l’évolution des familles de composés afin de mieux répondre aux exigences toujours plus élevées, de respect de l’environnement , de la santé humaine et de la santé animale. Ces améliorations avancent au rythme où progressent la connaissance scientifique  et  la réglementation qui prend en compte ces nouvelles informations dans les pays développés.

Quelle est et quelle sera leur place, en tenant compte des impératifs environnementaux et sanitaires, mais aussi des contraintes techniques (éviter des impasses) économiques (nourrir davantage et mieux), et climatiques ?

Vous avez raison de rappeler que les défis actuels pour l’agriculture  sont de répondre au changement climatique et à la nécessité de nourrir 7 milliards, bientôt 9 milliards d’êtres humains. 

Ce double enjeu est colossal et on ne doit pas faire la fine bouche devant les progrès technologiques que ce soit en matière d’innovation de nouvelles molécules de produits phytopharmaceutiques de synthèse ou de plantes génétiquement modifiées qui améliorent les performances agronomiques des variétés commercialisées.

 Il faut être vigilant sur l’appréciation des bénéfices/risques de chaque approche en fonction du contexte et du moment. Une technologie n’est pas gravée dans du marbre : elle répond à un moment donné à un besoin et puis elle évolue ou elle est abandonnée si elle ne répond plus aux exigences.

Quelles peuvent être les perspectives de la lutte intégrée ?

Pour moi, la lutte intégrée (1) est clairement la voie de l’avenir en matière de protection de plantes cultivées. On réfléchit à ce qu’on cultive dans une séquence d’itinéraires agronomiques sur la parcelle et l’exploitation, de contraintes économiques et environnementales. On privilégie des approches génétiques  avec l’amélioration variétale, ou de successions culturales, une surveillance grâce à des pièges à phéromones pour ne pas traiter quand c’est inutile etc. 

Cela minimise les apports de l’agrochimie ce qui fait économiser beaucoup d’argent à l’agriculteur tout en  lui permettant de percevoir des revenus en rapport avec son travail. Mais quand les fléaux, insectes ou autres  pathogènes,  menacent une culture et le fruit du travail de l’agriculteur, il faut traiter.

Une réponse rapide et efficace est le plus souvent donnée,  dans l’état actuel de nos connaissances actuelles, par les pesticides de synthèse. Quand la maison brûle, il ne faut pas tergiverser.

Quelles sont les perspectives de la lutte biologique ?

L’agriculture biologique est à l’origine un mouvement de militants qui refusent par principe l’utilisation des pesticides de synthèse puis depuis les Plantes génétiquement modifiées, PGM. Ce refus d’utiliser les nouvelles molécules de synthèse, plus respectueuses de l’environnement, conduit à des aberrations comme privilégier l’utilisation du cuivre dont on sait aujourd’hui qu’il est très polluant pour les sols. Certains agriculteurs ont vu une opportunité dans l’agriculture biologique car leurs produits sont payés plus chers.

La question est de savoir si l’agriculture biologique était étendue à l’ensemble de la planète si elle serait suffisante pour nourrir l’humanité. La réponse est non. De plus ce serait la catastrophe pour l’agriculture française si l’agriculture biologique se généralisait. Une étude récente de l’INRA  indique que dans ce cas, la baisse des rendements en vigne serait  de 25%, de 35% en grandes cultures, de 50% en cultures fruitières et il n’y aurait plus de cultures de colza ou de pommes de terre. Je vous laisse méditer.

 Peut-on trouver une synthèse avec des molécules naturelles améliorées et utilisées par voies de modifications génétiques

L’amélioration génétique variétale est un des outils disponibles pour faire face aux enjeux dont on a parlé tout à l’heure, quelles que soient  les méthodes de modification utilisées. Il se trouve que le législateur a mis en exergue la transgénèse, mais il existe d’autres méthodes d’amélioration variétale qui heureusement ne sont pas soumises à une réglementation aussi sévère. D’ailleurs, demain, ce sera un débat dépassé car de nouvelles technologies sont en voie de développement sans parler de l’essor de la biologie de synthèse qui en est aujourd’hui à ses balbutiements

Aujourd’hui les variétés commercialisées de maïs, cotonnier, soja, colza transgéniques servent à lutter contre des insectes ravageurs spécifiques de ces cultures ou à améliorer le désherbage. Mais les améliorations génétiques  des variétés peuvent répondre à d’autres défis. Faire face à la sécheresse, ou enrichir des variétés de riz très consommées dans les pays pauvres en nutriment spécifiques pour lutter contre les fléaux comme la cécité précoce des enfants en déficit nutritionnels, sont des exemples de ce qu’on pourrait faire avec ces nouvelles molécules synthétisées par les plantes.  Il ne faut donc pas inhiber l’innovation mais l’encourager.  Seules les innovations positives perdureront. Qui aujourd’hui pourrait se passer de l’électricité ?

Catherine Regnault-Roger répondait aux questions de michel.deprost@enviscope.com

Produits de Protection des Plantes Innovation et sécurité pour une agriculture durable, Editions Lavoisier, 368 pages,15,5 x 24 cm,  65 €

1) Catherine Regnault-Roger, pharmacien et docteur ès-sciences naturelles, est  Professeur des universités émérite à l’Université de Pau et des pays de l’Adour. Ses recherches dans le domaine de la protection des plantes ont porté sur les méthodes
de lutte chimiques et alternatives. Auteur de plus de 200 publications scientifiques et techniques, elle a coordonné plusieurs ouvrages remarqués, notamment Enjeux phytosanitaires pour l’agriculture et l’environnement (Lavoisier, 2005), Biopesticides
d’origine végétale (Lavoisier, 2002 et 2008 2e édition) et Révolutions agricoles en perspective (Éditions France Agricole, 2012). Elle siège au Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies ainsi qu’au Comité de surveillance biologique duterritoire. Elle est par ailleurs membre titulaire de l’Académie d’Agriculture de France, et chevalier de la Légion d’honneur au titre de ses activités dans le domaine de l’écologie et du développement durable.

2 ) Pour la FAO et l’OILB, la lutte intégrée est définie comme étant la « conception de la protection des cultures dont l’application fait intervenir un ensemble de méthodes satisfaisant les exigences à la fois écologiques, économiques et toxicologiques en réservant la priorité à la mise en œuvre délibérée des éléments naturels de limitation et en respectant les seuils de tolérance ».


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