” En France, les bâtiments représentent 43% de la consommation d’énergie totale et 25% des émissions de Gaz à Effet de Serre. 12,9 millions de logements (soient 43% des logements en résidence principale) sont dans des immeubles collectifs, dont environ 10 millions sont des copropriétés.
Largement plus de la moitié de ces logements datent d’avant 1975, c’est-à-dire avant la première réglementation thermique, publiée à l’issue du premier choc pétrolier de 1973, et le taux de renouvellement du parc de logement –c’est-à-dire la proportion de logements neufs- est de 1% par an, logements neufs soumis eux à la réglementation thermique de 2005 (RT2005).
Or dans les copropriétés, les décisions portant sur la maîtrise de l’énergie (isolation du bâti, isolation commune des ouvertures, remplacement par une chaudière plus performante, installation d’eau chaude sanitaire solaire, installation d’électricité photovoltaïque, etc) doivent être prises en assemblée générale des copropriétaires, à la « majorité absolue » des voix des copropriétaires, quand ce n’est pas à la « double majorité ». Un propriétaire de maison individuelle peut décider rapidement, seul, de réaliser des travaux d’économies d’énergie, et il peut alors être directement sensible aux incitations économiques des pouvoirs publics : crédit d’impôt, aide des collectivités locales, etc.
Une assemblée de copropriétaires n’est pas réactive de la même manière et ne doit pas être accompagnée de la même manière. Sans aller dans la critique facile de « foire d’empoigne », force est de constater que c’est souvent « le moins disant » économique qui l’emporte. Car il s’agit de convaincre plusieurs dizaines de personnes et l’exercice est très proche de celui d’une élection politique, avec aussi une nécessaire campagne avant l’assemblée et avant le vote :
convaincre 50% des votants à voter pour, ce qui, étant donnée la population d’une assemblée et la diversité des préoccupations de chacun, revient à convaincre 50% de l’opinion publique et à les décider à voter pour et à payer pour. Or aujourd’hui en France, avec les incitations actuelles, force est de constater que largement moins de 50% de ceux qui constituent « l’opinion publique » sont convaincus et ont réalisé et ont payé pour.
Alors comment arriver à convaincre au moins 50% des copropriétaires d’une assemblée générale ? C’est là qu’intervient un exemple notoire et riche d’enseignements, quasi-emblématique, au moins pour les copropriétés sans problème économique particulier:
Lors d’une assemblée générale de copropriétaires en mars 2007, 2 décisions sont mises au vote :
1.) Vote pour l’étude de faisabilité de l’ECS solaire
, interprétée par certains, à tort, comme l’installation certaine de l’ECS solaire, soient environ 4.000 euros, c’est-à-dire environ 1.200 euros nets après les 70% d’aides de l’ADEME et de la Région. Par ailleurs une pré-estimation pour l’installation d’ECSsolaire dans cette copropriété porte à 150.000 euros, avec environ 50% d’aide initiale et des réductions de charge d’environ 50% pour l’eau chaude, soit un retour sur investissement estimé à environ 12 ans.
2.) Vote pour mise aux normes de sécurité des ascenseurs
, selon l’obligation légale, soient par ascenseur 10.000 euros pour 2008 et 20.000 euros pour 2012, soit un total de 150.000 euros pour 5 ascenseurs. Naturellement ici il n’y a ni aide publique ni crédit d’impôt, ni réduction des charges de la copropriété, ni calcul de retour sur investissement.Résultat des votes : L’étude de faisabilité a été rejetée à une large majorité, la mise aux normes des ascenseurs a été acceptée à une écrasante majorité et avec la totalité des travaux et de la dépense groupés pour 2008.
Ces deux votes montrent d’abord que cette copropriété fait partie des copropriétés « sans problème
économique particulier », ensuite que ce qui est obligatoire est accepté et même largement, et que finalement c’est trop tôt ici pour l’idée d’ECS solaire…Mais il y a encore plus surprenant : un troisième vote portait sur l’arrêt du chauffage des parties communes (halls et montées d’escaliers), ce qui ne coûte rien et réduit immédiatement les charges. Ce point a été refusé à une écrasante majorité !
Mettons de côté les particularités de cette copropriété, de ses copropriétaires et résidents, de son passé et considérons-là simplement comme un exemple. Aujourd’hui combien de copropriétés en France ont réalisé des travaux d’économies d’énergie lourds ? Pratiquement aucune ! Olivier SIDLER, du cabinet ENERTECH, l’a fortement souligné, par exemple le 17 janvier 2007 lors d’une conférence à Lyon :La phase d’incitation n’est pas suffisante, il faut passer à une phase d’obligation. De plus, pour atteindre les engagements de type « facteur 4 » pour le territoire national, il considère qu’il faut réhabiliter 400.000 logements anciens par an pendant plusieurs années.
Pour le logement collectif social, les pouvoirs publics sont décideurs ou co-décideurs, et des travaux d’économie d’énergie sont –parfois- réalisés. Pour le logement collectif privé, comment obliger les copropriétés à décider de réaliser ces économies d’énergie ?
Les termes de ces obligations pourraient ressembler à ceux mis en oeuvre en Espagne pour obliger l’installation de chauffe-eau solaires, avec un nécessaire accompagnement technicoéconomique et un phasage sur plusieurs années pour faciliter l’acceptabilité économique, comme pour la mise à niveau des ascenseurs -sans oublier l’interdiction de chauffer les parties communes- avec par exemple des niveaux de consommation énergétique à atteindre et un suivi régulier de type « DPE collectif » ou Diagnostic de Performance Energétique pour un immeuble complet. De nouvelles incitations pour généraliser les compteurs individuels de chauffage pourraient suivre celles pratiquées avec succès en Allemagne…
Alors les conseils syndicaux, les syndics et régies d’immeubles, les copropriétaires au sein des assemblées de copropriétaires, les résidents, auront des motivations supplémentaires, en plus de la nécessaire maîtrise des charges liées à l’énergie et de la revalorisation durable de leur patrimoine, pour développer une véritable gouvernance éco-énergétique de leur copropriété. Comme déjà réalisé par certains, un « Bilan » ou « Diagnostic énergétique complet », incluant des recommandations et un premier chiffrage de solutions avec estimation du temps de retour sur investissement, permet de comprendre la situation et les possibilités, et de les prioriser et planifier sur plusieurs années. Il s’agit d’isolation du bâti par l’extérieur, isolation commune des ouvertures, remplacement par une chaudière plus performante, installation d’eau chaude sanitaire solaire, installation d’électricité photovoltaïque, etc.
En conclusion, avec près de 10 millions de logements les immeubles en copropriété constituent -pas moins que le logement social sinon plus- l’un des grands enjeux de la politique de l’efficacité énergétique. En dépit de la complexité des processus de décision, les copropriétés se prêtent à des actions coordonnées, associées à des plans de gestion, qui sont appelés à se mettre en place progressivement et à se généraliser, en allant dans le sens de la revalorisation d’une forme d’habitat urbain et économe. Il s’agit de choisir le bon « ascenseur »… pour atteindre le « facteur 4 ».
Jean Lambert, fondateur et animateur du réseau des Résidences Economes en énergie du Grand Lyon.