La société d’études WISE-Paris (1) a réalisé pour l’association Greenpeace, une étude sur la stratégie de prolongation du fonctionnement des réacteurs nucléaires, déployée par EDF.
Une large part des 58 réacteurs nucléaires français s’approche des 40 ans de durée de vie, maximum prévu dans les études de conception et le maximum autorisé dans le cadre réglementaire actuel. Pour WISE, les conditions ne sont pas réunies pour une gestion maîtrisée de cette échéance cruciale sur le plan des risques, des coûts et de la transparence des choix.
« Il existe un grand risque d’aller vers des prolongations de réacteurs décidées par défaut dans un cadre politique et réglementaire insuffisant pour en fixer pleinement les exigences du point de vue de la sûreté, en mesurer sérieusement les conséquences du point de vue économique, et pour en assurer le caractère démocratique. Au delà des constats tirés de cette analyse, des actions doivent être engagées pour retrouver la maîtrise publique des décisions à prendre. »
Un effet falaise
Aucune décision n’a été prise et on se trouve confronté à une décision par défaut d’EDF. Cette absence de décision ne signifie pas que les options restent indéfiniment ouvertes. La pyramide des âges du parc nucléaire est caractérisée par l’effet de falaise lié à la montée en puissance très rapide au lancement du programme. Si les réacteurs étaient arrêtés au plus tard 40 ans après leur démarrage, la capacité nucléaire se maintiendrait jusqu’en 2017 avant de chuter de moitié d’ici 2025, de trois quarts d’ici 2029 et de sept huitièmes d’ici 2033.
Face au retard pris en matière d’élaboration d’une stratégie énergétique pour la gestion de l’arrivée à 40 ans la prolongation apparaît comme un moyen possible, voire indispensable pour se donner du temps. C’est oublier selon WISE, que cette prolongation ne va pas de soi du point de vue de la sûreté et reste très incertaine en termes de faisabilité technique autant que de coût.
Un effort considérable doit donc être engagé pour anticiper l’effet de falaise prévu entre 2017 et 2027, pour préciser quelle évolution du parc doit permettre d’atteindre l’objectif de 50 % de production nucléaire en 2025, et pour éviter tout fait accompli dans les choix de gestion des réacteurs.
Changement de stratégie
La politique énergétique n’a pas anticipé l’échéance des 40 ans car EDF a privilégié jusqu’au milieu des années 2000 un remplacement du parc actuel par des EPR à partir de 2020 environ. Puis EDF s’est totalement réorientée vers une prolongation de l’ensemble des réacteurs au delà de 40 ans.
EDF s’est engagée dans une stratégie d’exploitation entre 50 et 60 ans avec une logique économique. En maintenant les investissements liés à cette prolongation en dessous des investissements nécessaires dans d’autres moyens de production, EDF rentabilise davantage le parc existant tout en s’épargnant des dépenses supplémentaires.
Pas d’avis de l’ASN
Cette politique d’investissement se déploie cependant alors que l’Autorité de sûreté nucléaire a déclaré que la prolongation n’est pas acquise du point de vue de la sûreté. L’ASN ne pourra se prononcer définitivement sur le principe de prolongation au delà de 40 ans qu’en 2018 ou 2019. Il existe selon WISE, donc un risque élevé que les investissements décidés par EDF créent une pression économique et politique forte sur les conditions de sûreté exigibles pour autoriser cette prolongation.
Le risque inverse, lié à un éventuel refus de prolonger la durée de vie, est tout aussi réel : la poursuite jusqu’à son échec de la stratégie d’EDF entraînerait en effet la perte des investissements réalisés et de grandes difficultés pour le système électrique français qui serait fragilisé.
Assurer la sureté
L’élément fondamental sur l’éventuelle prolongation des réacteurs est celui des conditions dans lesquelles la sûreté pourrait être assurée. Or ce point est loin d’être résolu. La sûreté intrinsèque des réacteurs, tels qu’ils ont été conçus et construits pose dans la perspective d’une poursuite d’exploitation au delà de 40 ans deux questions majeures, la sénescence et les leçons de Fukushima.
Les effets du vieillissement peuvent s’analyser pour la partie matérielle en termes de sénescence d’une part et d’obsolescence d’autre part.
La sénescence frappe l’ensemble des matériaux du réacteur. Elle entraîne une dégradation connue des performances d’équipements lourds non ou difficilement remplaçables, au premier rang desquels la cuve du réacteur et son enceinte, et une dégradation diffuse, impossible à tracer et à contenir dans son intégralité, de l’ensemble des composants.
L’obsolescence vise la conception, et parfois même la disponibilité industrielle de composants. Ce problème est d’autant plus difficile que dans le même temps, le retour d’expérience de l’exploitation du parc de réacteurs français et des accidents observés dans le monde vient renforcer les exigences mêmes. Les réacteurs ont pour l’essentiel été conçus et construits avant les accidents de Three Mile Island en 1979 et de Tchernobyl en 1986, dont les enseignements ont donné lieu à des modifications conséquentes mais nécessairement limitée. Enfin, les prescriptions actuelles ne poussent pas à son terme la démarche initiée après Fukushima en limitant le champ des agressions considérées, des événements initiateurs d’accident et des équipements à redimensionner pour y faire face.
Au delà de l’élaboration du référentiel, l’ensemble du processus de décision doit être révisé pour atteindre deux objectifs.
Le premier est de respecter les principes constitutionnels du droit environnemental d’accès à l’information et de participation du public aux décisions.
Le second est d’assurer l’articulation des décisions relatives à la sûreté et celles relatives à l’opportunité d’éventuelles prolongations, le tout en cohérence avec les orientations générales de la politique énergétique.
1) WISE-Paris, Service Mondial d’Information sur l’Energie et l’Environnement, a été créé en 1983, explique l’entreprise, devant le ” manque évident, en France, d’informations indépendantes et fiables concernant les systèmes énergétiques, notamment le nucléaire”.
Le service de documentation de la société ” fruit d’une compilation soigneusement réalisée depuis 1983, comprend des ouvrages nationaux et internationaux, des rapports techniques et scientifiques, des articles de presse ainsi que l’accès à plus d’un millier de bases de données informatisées.“. Ce service représente ” une image complète de l’état de l’information et de la réflexion sur l’énergie et l’environnement en France et dans le monde.“
WISE-Paris, dirigé par Yves Marignac s’adresse ” aux personnes ou aux organismes travaillant sur l’énergie et l’environnement et ayant eux-mêmes des fonctions de recherche et d’études, de distribution d’informations ou de décisions : journalistes, élus, organisations non-gouvernementales, associations de consommateurs, bureaux d’études, groupes de recherche, scientifiques, administrations, syndicats, etc…“
WISE-Paris contribue régulièrement à Radio France Internationale, Deutschlandradio, la télévision allemande publique WDR ou encore la chaîne nationale japonaise NHK. D’innombrables publications sont allées chercher articles, informations ou conseil à WISE-Paris, dont en France Le Monde, Le Monde Diplomatique, Libération, Info-Matin, L’Express, L’Évènement du Jeudi, Que Choisir… Au Royaume-Uni la BBC, The Observer, New scientist, The Guardian… Ou encore en Allemagne ZDF-TV, Der Spiegel, Die Zeit, Der Stern, Frankfurter Rundschau, Die Tageszeitung…
WISE-Paris a fourni conseil, expertise et documentation à des clients tels que l’UNESCO, le Parlement Européen, le ministère français de l’environnement, le CNRS, l’IPPNW, le Forum Plutonium ou Greenpeace. Son fondateur et premier directeur, Mycle Schneider, a été auditionné par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et plusieurs Préfectures en France, le House of Lords en Angleterre, une commission parlementaire en Suède et la Chambre des Députés en Belgique.
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