par Thierry Trouvé, Directeur général de GRTgaz
Il n’y a pas que les auteurs de science-fiction qui explorent le futur. Actuellement, les spéculations vont bon train pour imaginer un monde neutre en carbone à l’horizon 2050. Les discussions s’annoncent stimulantes tant certains scénarios sont parfois déconnectés du réel. Convaincus que l’électricité sera bientôt totalement décarbonée (nucléaire et renouvelable), d’aucuns imaginent même une électrification à marche forcée des usages… un monde « tout électrique » !
Cette conception simpliste de la transition énergétique qui renie les autres vecteurs énergétiques dont les gaz renouvelables et l’hydrogène, serait une erreur à bien des égards. Aujourd’hui, dans l’industrie, le gaz remplace avantageusement le charbon et le fioul pour réduire les émissions de CO2. Dans la mobilité, c’est le seul carburant alternatif (1) au diesel crédible pour lutter contre la pollution et répondre au besoin des poids-lourds, des autocars et du transport maritime.
Ironie de l’histoire, pour éviter le risque croissant de gaspillage des surplus d’électricité éolienne et solaire, les infrastructures gazières apportent une solution de stockage d’énormes quantités d’énergie sur de très longues périodes ce que les batteries ne savent pas faire. Plus que jamais, une transition énergétique responsable et solidaire repose sur la complémentarité des systèmes électrique et gazier
La vision d’une France « tout électrique » est utopique
Elle repose sur des partis-pris biaisés et des paris hasardeux. Ses partisans omettent en général de préciser comment faire face aux pointes de consommation l’hiver, quand le système gazier fournit 1,5 fois plus d’énergie que le système électrique. Faudra-t-il remplacer tous les chauffages au gaz par des pompes à chaleur air/air réputées inefficaces dès que la température extérieure se rapproche de zéro ? Doubler le parc de production électrique ? Développer d’autant les réseaux d’électricité à travers le pays ?
Faire fi du gaz sous prétexte qu’il est aujourd’hui encore majoritairement fossile serait une aberration. Stockable et immédiatement mobilisable, les vertus de cette énergie seront décuplées avec le développement des gaz renouvelables produits sur notre sol ! Une cinquantaine d’installations, essentiellement agricoles, injectent déjà du biométhane.
Selon l’ADEME (2), la France pourrait satisfaire toute sa consommation avec du gaz 100 % renouvelable en 2050. Cette nouvelle génération de gaz (3), c’est l’assurance d’un revenu complémentaire pour nos agriculteurs, de l’emploi et de l’économie circulaire dans les territoires et des importations en moins.
À supposer que cela soit techniquement possible, un approvisionnement exclusif à base d’électricité décarbonée conduirait à un surcoût de l’ordre de 20 milliards d’€/an4 pour la collectivité. A contrario, la couverture de 30% de la consommation française de gaz en 2030 avec du gaz renouvelable suppose un soutien de l’ordre de 3 milliards d’€/an (4), essentiellement réinvesti dans l’économie locale. 3 milliards d’€, un montant inférieur à la contribution des Français en 2016 pour produire 5,5% d’électricité solaire et éolienne !
Alors pourquoi s’obstiner à promouvoir un tel scénario?
Il est vrai que, dans ce cas de figure, l’objectif de ramener à 50% la part d’électricité nucléaire dans notre pays paraît plus facile à atteindre… tout en maintenant le parc de réacteurs proche de ce qu’il est aujourd’hui.
Soyons sérieux, cette conception conservatrice de la transition énergétique ne peut justifier l’électrification de tous les usages. Soyons pragmatiques, encourageons un développement rapide des gaz renouvelables. Soyons cohérents et donnons à nos territoires les moyens de piloter un mix énergétique diversifié et intelligent.
Le Meilleur des Mondes « tout électrique » n’est pas une option. La politique énergétique de la France mérite mieux qu’un mélange de chimères et de recettes du passé.
(1) GNV (gaz naturel véhicule) bioGNV (gaz renouvelable pour véhicule) ou GNL (gaz naturel liquéfié)
(2) Étude Ademe « Un mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 ? » (janvier 2018)
(3) Méthanisation, pyrogazéification, gazéification, méthanation, Power to gas,…
(4) Comparaison avec un mix équilibré (électricité et gaz renouvelable) en 2050 sur la base de l’étude européenne Gas For Climate (février 2018)