1. Accueil
  2. /
  3. Actualités
  4. /
  5. Economie
  6. /
  7. Économie durable
  8. /
  9. RSE
  10. /
  11. Des nouvelles formes d’entreprendre...

Des nouvelles formes d’entreprendre solidairement, par Olivier Frérot

Olivier Frérot, ingénieur et philosophe, passe ici en revue des types d’entreprises émergentes, qui mettent au coeur de l’activité leur responsabilité sociale, tout en répondant à des besoins du marché. Enviscope publie, avec l’autorisation de l’auteur un texte publié le 14 décembre 2019 par Solidarités Émergentes, extrait du livre « Vers une civilisation de la Vie – Entreprendre et coopérer », éditions Chronique sociale, 2019

Olivier Frérot : nous devons aider l'émergence d'une civilisation au coeur de laquelle se trouve la vie ( photo Olivier Frérot)
Olivier Frérot : nous devons aider l’émergence d’une civilisation au coeur de laquelle se trouve la vie (photo Olivier Frérot).

Nous nous proposons de regarder ce qui s’invente dans différentes entreprises qui se situent à l’inverse du courant néolibéral, car elles mettent en leur cœur les humains dans leur singularité et dans leur agir commun. Plusieurs dénominations ont cours pour cela : responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise, entreprise sociale, social business, entreprise libérée, coopérative d’activité et d’emploi, entreprise-en-communs, … Nous savons qu’il peut y avoir usurpation dans les dénominations, mais nous ne nous y attarderons pas non plus. Nous allons parcourir les lieux où de nouvelles dynamiques de solidarités s’expérimentent et se développent réellement. L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) s’y prête a priori plus favorablement. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et des entreprises immergées dans l’économie concurrentielle peuvent le manifester pleinement.

La responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise

La RSE a le grand avantage d’élargir la compréhension de ce qu’est une entreprise. On ne peut définir précisément les frontières d’une entreprise. Les limites en sont poreuses. Elle est un système ouvert. Elle est constituée de parties prenantes qui interagissent entre elles pour produire et distribuer la production. Ces parties prenantes littéralement entreprennent entre elles. Classiquement, nous les désignons ainsi : les salariés, les manageurs, les financeurs, les clients, les fournisseurs, les conseils, les collectivités territoriales, …

La gouvernance d’une entreprise qui prend au sérieux la RSE a des instances régulières qui permettent à ses différentes parties prenantes d’échanger et de confronter leurs points de vue et leurs intérêts et de trouver des accords. Car elles sont conscientes qu’ensemble elles forment l’entreprise, même si le les salariés, les manageurs et les financeurs sont plus au cœur. Les participants d’une telle entreprise savent qu’ils ne créent pas seulement de la richesse économique et sociale, mais aussi de la richesse sociétale et même civique ; qu’elle est un petit morceau de la société en lien ouvert avec toutes ses autres composantes localement, et même mondialement désormais pour certaines d’entre elles. Le tissu social que l’entreprise contribue à conforter lui offre un réseau d’alliés qui peuvent se révéler précieux en cas de coup dur. Or notre société est entrée en zone de turbulences, et celles-ci vont augmenter. D’où l’importance stratégique d’avoir des alliances, en tout cas si l’entreprise et ses parties prenantes souhaitent durer, ce qui est le cas d’une entreprise qui prend au sérieux les humains qui la composent et donc la RSE.

En voici quelques exemples : Décathlon, Leroy-Merlin, ARaymond, Bollhof-Otalu, Techné, SantéVet, Aquitanis

L’entreprise sociale

Nous désignons par cette expression une entreprise dont la vocation est clairement sociale ou sociétale. Elle ne s’inscrit pas nécessairement dans le camp de l’économie sociale et solidaire. C’est le cas d’entreprises créées récemment par de jeunes entrepreneurs, souvent diplômés de l’université ou d’écoles d’ingénieurs ou de management, qui ne souhaitent pas entrer comme salariés dans une entreprise classique.

Ils sont animés par le désir d’apporter un service à des personnes qui ont des difficultés particulières qu’ils souhaitent atténuer. Ce peut être des personnes en situation de handicap, réfugiées, migrantes, prisonnières ou sortant de prisons, démunies socialement pour réaliser leur potentiel ou leurs projets. Ces entreprises sont à la fois à visée civique et entrepreneuriale. Leurs créateurs ne souhaitent pas dépendre des subventions publiques qui se tarissent. Ce qui est particulièrement nouveau, c’est qu’elles font feu de tout bois pour leurs ressources et qu’elles inventent de nouveaux modes de participation et d’engagement. Elles recourent au mécénat, au crowdfunding, au bénévolat, mais elles produisent aussi des services payants et peuvent rechercher des apports en capital. Dans la durée, elles font évoluer leur système de ressources. Elles inventent également des gouvernances qui impliquent tous ceux qui contribuent à l’existence et à la bonne marche de l’entreprise. Leurs statuts sont divers et évoluent assez rapidement suivant leur croissance.

En voici quelques exemples : Singa pour les réfugiés, Télémaque pour les jeunes de milieux défavorisés doués pour les études, Prison Insider pour informer sur les prisons dans le monde, Ticket for change pour activer les talents en intrapreneuriat et en entrepreneuriat, L’Arche qui accueille ensemble personnes en situation de handicap mental et personnes sans handicap.

Le social business

De telles entreprises se situent a priori dans le champ concurrentiel, mais elles affirment clairement que la création de valeur sociale est leur finalité prioritaire. Leur raison d’être est l’utilité sociale, pas la volonté de gagner de l’argent. Elles se distinguent des entreprises classiques qui accordent une place sérieuse à l’aspect social et sociétal via leur attention à la RSE, mais qui n’y attachent pas leur finalité principale. De l’autre côté, elles se différencient des entreprises sociales car elles se rémunèrent principalement via les services qu’elles apportent. Elles ne recherchent pas de subventions ni de mécénat. Elles sont tout à fait attentives à leur financement pour faire leur travail, rémunérer correctement leurs parties prenantes et demeurer libres de leurs décisions. Leur gouvernance assume le fait que l’actionnariat est faiblement ou pas rémunéré.

En voici quelques exemples : Angelor et d’autres business angels qui investissent dans des entreprises à vocation sociale, La NEF, banque solidaire, Les Amanins, école, ferme agricole et centre de formation, Sirac services qui met à disposition des personnels à temps partiels, La Cordée, tiers-lieu dédié à l’entrepreneuriat et au coworking avec une animation structurée.

L’entreprise libérée

Une telle entreprise met la personne humaine au centre de son organisation et cherche à libérer ses énergies constructives et créatives. Le principe est de laisser les salariés prendre des initiatives plutôt que de leur imposer des directives et des contrôles. Le postulat de base est la confiance en chacun et la reconnaissance particulière de chacun. Les potentiels et les compétences peuvent pleinement s’exprimer grâce à une importante liberté d’action. Le système hiérarchique classique est remplacé par une structure horizontale où les collaborateurs s’auto-dirigent, ce qui est très séduisant pour les générations Y et Z. Ce n’est pas pour autant le désordre car des règles définies collectivement garantissent l’espace de liberté de chacun. L’autonomie est placée au cœur du système managérial. En effet, les salariés sont libres d’organiser eux-mêmes leur temps de travail, et de fixer leurs objectifs personnels. L’intelligence collective y prend une place centrale. L’épanouissement de chacun se réalise dans un collectif solidaire, dans une articulation féconde entre l’individu et le collectif.

En voici quelques exemples : Chrono Flex, Poult, Sogilis, Buurtzog (Hollande), Gore (USA)

La coopérative d’activité et d’emploi

Il s’agit d’une nouvelle forme de coopérative, dont le statut a été consolidé par la loi sur l’Économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014. Elle s’inscrit dans le régime des scoop pour la gouvernance, une personne une voix. Son originalité est de rassembler des entrepreneurs qui sont aussi les salariés de la coopérative. Chaque membre développe sa propre activité, seul ou en petit collectif, et apporte le résultat à la coopérative, qui le salarie. En finançant ainsi son propre salaire et les services mutualisés de la coopérative, il bénéficie de la couverture sociale d’un salarié classique. L’appartenance à une telle coopérative est affaire d’affectio societatis, car les membres, qui ont le goût pour entreprendre, se vivent solidaires. Ils mutualisent des ressources, et ils se fréquentent pour s’encourager, se former, se coacher, et développer des activités ensemble. L’énergie fondamentale est celle d’entreprendre, mais celle-ci est pour une large part mise en partage solidaire, ce qui permet de passer les moments délicats de la vie d’un entrepreneur. De nombreuses CAE accueillent des personnes qui souhaitent développer leur projet d’entreprise. Pour cela, elles peuvent bénéficier de subventions, mais, celles-ci se raréfiant, des nouvelles formes de soutiens à la création entrepreneuriale s’y inventent collectivement.

En voici quelques exemples : Coopaname en région parisienne, Oxalis avec différents pôles en France, Smart pour les professionnels des arts et de la culture, La Manufacture coopérative espace de recherche-développement pour les CAE, Elycoop en région lyonnaise.

Entreprendre-en-communs : nous désignons par cette expression une forme d’entreprise qui se réfère à la notion des communs. Le mouvement des communs est en pleine émergence. Nous l’avons évoqué précédemment. L’économiste Elinor Ostrom transforma la notion de propriété en l’éclatant en différentes catégories de droits, d’usages et de gouvernance. Dans les années 1980, le monde de l’informatique s’empara de cette dynamique dans l’aventure féconde des logiciels libres, par la mobilisation de milliers de développeurs. L’organisation est complexe mais fructueuse, à tel point qu’elle rassemble aujourd’hui des experts salariés de grands groupes informatiques. Wikipédia est un bel exemple des communs de la connaissance. Ceux-ci proposent une alternative à la privatisation du savoir qui se généralise. Plus récemment les communs ont émergé dans le champ politique avec des mouvements municipalistes et communalistes, comme en Catalogne et certaines villes d’Italie, et en France dans des Assemblées des communs. L’entreprise-en-communs se réfère aux quatre dimensions des communs : les ressources, la communauté, la gouvernance, le processus. Elle peut se situer dans le champ de l’économie sociale et solidaire ou dans le champ concurrentiel. Sa philosophie met en avant la philosophie du partage dans le fonctionnement, la conduite et la propriété de l’entreprise. Sa finalité est clairement sociétale avec une vive attention aux dimensions de l’écologie et de la vie.

En voici quelques exemples : Coexiscience, collectif de scientifiques pour une science ouverte, Mutualab, un tiers-lieu lillois, et La Myne, un tiers-lieu lyonnais, tous deux en recherche-développement sur une gouvernance-en-communs.

Nous avons ainsi parcouru des lieux où la société de demain s’élabore, appuyée sur des valeurs qui ne sont pas celles du monde néolibéral, mais au contraire des valeurs émergentes. Il ne s’agit pas d’abord de concurrence et de rapports de forces au profit de gagnants avec son vaste lot de perdants, mais de coopération et de solidarité ou chacun trouve son compte. Le point focal est d’expérimenter la puissance créatrice de la vie qui nous anime, d’une vie ainsi plus intéressante, plus féconde, plus riche, car tout simplement plus vivante. Ces lieux sont des lieux d’entreprise, car c’est en faisant des choses ensemble, en agissant collectivement que les humains construisent la nouveauté sociétale. Nous avons analysé quelques uns de ces lieux particulièrement actifs aujourd’hui, que sont des entreprises dans le sens large et ouvert que nous avons donné à ce mot. Cela afin de changer nos lunettes et donc notre regard pour voir le verre à moitié plein, là où souvent il est vu à moitié vide. Et, munis de cette façon de regarder la société autour de nous, nous pouvons légitimement penser que de telles entreprises se multiplient, et que ce n’est pas seulement notre regard qui a changé. C’est confiant en ces observations pleines d’espérance, en cette façon de lire notre société en métamorphose ouverte, que nous pourrons mettre toute notre énergie pour coopérer au déploiement de la nouvelle civilisation en émergence, qui est fondée sur la croissance de la vie. Y contribuer est notre joie !

Olivier Frérot et o.frerot@philometis.fr

 

 

 

LinkedIn
Twitter
Email

à voir

Related Posts

Mag2lyon numéro 163

NEWSLETTER

Rececevez réguliérement par mail nos dernier articles publiés

Lire la vidéo
Lire la vidéo
Lire la vidéo

Derniers articles publiés

Enquêtes

Reportage Vin 31

Dossiers

Territoires

Environnement

Energie

Mobilité

Médiathèque

économie

économie durable

bioéconomie

économie circulaire

Construction et aménagement

Recherche

Connection

Connexion à votre compte

Récupération de votre mot de passe

Merci de saisir votre identifant ou votre adresse email