Le Grenelle de l’Environnement a donné l’impression d’une grande prise de conscience, voire d’un grand enthousiasme, il existe encore de très nombreux freins qui ne sont peut-être pas levés. Que faudrait-il vraiment faire pour changer au moins les états d’esprit ?
Les coûts d’investissement des énergies renouvelables sont toujours un frein important car l’investissement y est toujours supérieur à celui des énergies fossiles. Et dans le secteur neuf, bien des acquéreurs arrivent au maximum de leur capacité financière avant même de se poser ces questions . Un investissement dans les économies d’énergie n’est pas pris en compte comme une source d’économie, ni par les consommateurs, ni par les banques. Il faudrait que les banques leur permettent d’aller dans ce cas au-delà de la barrière des 33% de taux d‘effort.
Les contraintes réglementaires favorisent-elles assez l’innovation ?
Il n’y a guère pour le moment d’obligations sur les techniques à mettre en oeuvre, comme par exemple le recours aux énergies renouvelables comme le solaire thermique qui concerne le logement neuf. La réglementation thermique 2005 prend en compte le solaire thermique qui pourrait être obligatoire dans la réglementation 2010. On progresse donc, mais lentement. Les appareils consommant de l’énergie devraient tous avoir une étiquette énergie, comme c’est désormais le cas pour les climatiseurs, voitures, logements, etc.
On parle beaucoup de réalisations nouvelles, mais peu de l’existant ?
La réglementation pourrait être plus ambitieuse dans l’ancien où on peut encore faire pour ainsi dire n’importe quoi. Or , c’est un secteur où l’Etat hésite a imposer des objectifs. Le principe consiste encore à laisser le propriétaire faire ce qu’il veut. On se refuse à être contraignant, et on ne raisonne qu’en termes de carotte fiscale, ce qui reviendrait très cher à la collectivité si on vise la rénovation des 26 millions de logements existants dont il faudrait améliorer les performances énergétiques. Pourtant, ces travaux sont rentables pour leur occupant, génèrent de l’emploi non délocalisable pour la France, éviteraient un déficit de balance commerciale énergétique, bref, tous y gagnent. La voie réglementaire est la moins chère et la seule efficace. Les acteurs du Grenelle en ont convenu mais les services de l’Etat en ont peur.
Il y a aussi des freins psychologiques. Les propriétaires de maisons datant d’avant 1975 pensent qu’ils ont déjà fait assez s’ils ont installé des vitrages isolants. Ils font une pause alors qu’il faudrait continuer à investir régulièrement. Il faut aussi ne pas se contenter de solutions partielles, comme des épaisseurs d’isolation médiocres, ou des double vitrages bas de gamme qui coutent presqu’aussi cher que les bons produits et rendent non rentables de nouveaux travaux d’économies d’énergie . Il faut aller plus loin car on est encore très loin des 50 kWH par mètre carré et par an, nécessaires pour diviser nos émissions de gaz à effet de serre par quatre ce qui est un objectif national et international pour 2050.
Les consommateurs ont-ils une connaissance suffisante du poids de l’énergie dans leur budget?
La plupart des consommateurs ne sont pas encore assez informés. Ils ne connaissent pas parfois leur consommation d’énergie, non seulement sur le plan financier, mais aussi bien sûr sur le plan physique. Le prélèvement mensuel ou bimestriel indolore pour l’électricité et le gaz , rend la facture d’énergie invisible alors que la facture , annuelle, du fioul ne passe pas inaperçue.
Le secteur de la copropriété est aussi un secteur où la situation évolue très lentement?
Les freins sont aussi importants, car la aussi il y a une difficulté à connaitre sa consommation, et surtout à agir, à faire prendre des décisions. Heureusement une réforme comme l’inclusion des fenêtres dans les parties communes , qui doit intervenir, peut apporter davantage de cohérence. On pourra alors programmer des travaux pour l’immeuble entier, de façon cohérente: isolation par l’extérieur, changement de fenêtres, travail sur la ventilation. La difficulté vient aussi de la séparation des intérêts entre le propriétaire qui investit dans le logement et le locataire qui en paie les factures d’énergie. De nouveaux outils financiers sont à créer.
Ne prend on pas trop de temps, par exemple avec des diagnostics ?
La démarche se veut rationnelle. On veut logiquement partir d’une situation connue pour savoir ce qu’on va gagner et vérifier l’efficacité de ce qui est réalisé. Certaines opérations comme des thermographies aériennes sont spectaculaires, mais elles informent seulement de ce que les bâtiments perdent comme énergie par le toit, sans rien dire de ce qui se passe sur les façades.
Les diagnostics sont parfois nécessaires, mais globalement, on sait ce qu’il faut faire, il faut donc le faire d’emblée pour ne perdre ni temps, ni d’argent. On sait que le parc bâti consomme en moyenne plus de 200 kWh/.m²/an, et qu’on veut ramener ca à 50 kWh. Que l’immeuble soit en réalité à 180 ou 230 kWh ne change rien, on fera les mêmes travaux de changement de fenêtres, d’isolation des murs et de la toiture, etc. C’est la conception d’Olivier Sidler, du bureau d’études Enertech, spécialiste en bâtiments à basse consommation d’énergie, qui pense qu’il est inutile de mobiliser tous les énergéticiens de France pour vérifier ce qu’on sait déjà. D’autant que ca coute cher à grande échelle et qu’on a besoin de cet argent pour les travaux !
Les réalisations spectaculaires n’ont-elles pas parfois caché certaines priorités ?
Depuis dix ans, beaucoup de choses on été faites. On a assisté au décollage des énergies renouvelables, mais cela a parfois ressemblé à un saupoudrage. Le moment est venu de passer à leur généralisation et il faut surtout gagner en cohérence.
Des personnes installent du photovoltaïque, alors qu’elles restent équipées d’un chauffage tout électrique. L’augmentation du tarif d’achat a fait exploser la demande de photovoltaïque chez une clientèle qui a les moyens de réaliser des installations, mais le photovoltaïque est parfois devenu un produit financier. La démarche négawatt, qui consiste à s’interroger en trois temps, doit être popularisée pour éviter ces dérives : d’abord un travail de sobriété (est ce un besoin ?) ensuite d’efficacité (quel est l’appareil qui produit ce service avec le meilleur rendement ?) enfin, les énergies renouvelables, qui produisent le nécessaire.
Quelles restent les grandes lacunes de la communication et de la mobilisation actuelles ?
Pour les matériels nouveaux, pour les énergies renouvelables, il y aura une offre importante et les entreprises se battent pour vendre. Mais sur l’efficacité énergétique, un point qui est capital, mais moins spectaculaire, comme l’isolation par l’extérieur, on ne voit rien venir. Or, c’est la technique la plus intéressante car elle permet d’éviter les ponts thermiques par lesquels l’énergie fuit d’un bâtiment. C’est une technique assez simple à mettre en oeuvre, qui ne nécessite pas de déménager les occupants, de revoir la décoration. Elle apporterait des améliorations importantes, aussi bien dans le collectif que dans l’individuel. C’est une réalisation très technique et très efficace, mais elle ne bénéficie d’aucune incitation suffisante, et c’est bien dommage. Elle est pourtant appliquée a grande échelle chez nos voisins Suisses, Allemands, etc.