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Luc Ferry : l’innovation sans fin et l’hyperconsommation vident le monde de sens

La déconstruction des valeurs traditionnelles: Luc Ferry précise qu’il refuse toute nostalgie et veut comprendre les racines de la crise actuelle. Il voit les sources de cette crise dans la déconstruction des valeurs traditionnelles commencée au milieu du dix neuvième siècle, avec l’apparition en marge de la société industrielle, de groupes rejetant les normes sociales. Idée dominante de ces utopistes: pour changer le monde, il faut faire table rase du passé. C’est l’objectif de groupes qui vivent la bohème, les « je m’en foutistes », les « fumistes » et autres « hirsutes ».

La voie de la bourgeoisie et de la consommation : Pour Luc Ferry, la destruction des valeurs et modes de vie traditionnels, a ouvert la voie, paradoxalement, au développement de la bourgeoisie, de la consommation à outrance. « Quand on a une vie spirituelle et des valeurs forces on n’a pas besoin de consommer ».

Une innovation constante non maitrisée: Les valeurs traditionnelles, d’une certaine stabilité, ont été remplacées dans tous les domaines, par le souci constant d’une innovation devenue en elle-même une fin. « Produire du nouveau plutôt que du beau, dans l’art par exemple urprendre, renouveler les désirs pour renouveler la consommation a permis une expansion énorme de l’économie. » Et si 1968 a bien été une révolution sociale, « c’est celle qui a ouvert les portes de l’hyperconsommation en libérant les individus des habitudes traditionnelles».

Cette recherche constante de l’innovation, est un trait qui marquent la mondialisation. « Alors que la première mondialisation a été réalisée par la science qui pour la première fois, parlait de la réalité à tous dans le même langage, mettait en avant le progrès de l’homme, le bonheur, la mondialisation contemporaine est marqué par le rejet complet de l’idéal de progrès». La valeur dominante actuelle, c’est l’innovation pour l’innovation, le renouvellement des biens de consommation sans même recherche de bonheur. « Voilà la vraie raison de la crise actuelle : la recherche de l’innovation à tout prix n’est pas un moyen, elle est une fin. Nous n’avons pas de cause finale, d’objectif, mais l’habitude d’innover nous pousse dans le dos ».

La perte du sens. Les conséquences sont claires. Luc Ferry constate une perte du sens de l’humain, une perte du sens de l’histoire, une perte d’efficacité des leviers d’action. Naguère encore, le monde était relativement simple à organiser. Il est devenu presque ingérable, avec des leviers nationaux devenus sans efficacité. « Le monde manque de règle, les marchés manquent de règles, et plus que la présence de marionnettes qui manipulent les marchés, même si bien sûr des gens perdent et d’autres gagnent, c’est l’absence de régulation qui pose problème ».

Une nouvelle forme de famille: le troisième trait du monde moderne, c’est pour Luc Ferry, l’apparition d’une nouvelle conception de la famille moderne. A la famille ancienne fondée sur des besoins de reproduction du lignage, sur des besoins biologiques, sur des besoins économiques, a succédé la famille fondée sur l’union de deux êtres attirés par la passion. Il y a quelques siècles, les enfants n’étaient pris en considération que dans la mesure où ils répondaient à des besoins sociaux : assurer l’héritage pour le premier, servir de roues de secours, pour le deuxième et pour le troisième. Au-delà, les enfants étaient souvent inutiles, confiés à des nourrices, ce qui les condamnait à mort, ou abandonnés.

La « naissance » de l’individu, permise par l’extension du salariat, à l’ère industrielle, a favorisé l’émergence de la famille moderne, autour du sentiment et de la passion. Les enfants, ont été davantage investis et choisis. Ce qui a permis l’émergence d’une attention plus grande aux personnes, aux individus. L’attention aux enfants, aux autres, a donné naissance au sentiment humanitaire, aux actions altruistes.

Finalement au fil des décennies, dans les sociétés industrielles, la désacralisation a fait périr Dieu (et éteint les guerres de religion). Elle a remis en cause le lien avec la patrie (la deuxième guerre mondiale a fait 53 millions de victimes). La fin de la croyance dans la Révolution (le communisme a provoqué la mort de plus de 100 millions de personnes, dont 70 pour la Chine seule) a enlevé l’illusion de tout changement messianique.

Le monde est-il pour autant désenchanté ? « Non, pense Luc Ferry. Les gens sont encore capables de pensées humanitaires, ils pensent aux générations futures, aux conséquences écologiques de la société actuelle, aux conséquences de la dette, aux conséquences du choc des cultures. L’avenir ne justifie pas qu’on pleurniche, il faut agir. Si, comme le disait Georges Bernanos, l’optimiste est un imbécile heureux, un pessimiste est un imbécile malheureux ».

michel.deprost@enviscope.com

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