Durant plus d’une heure le film “sur le fil de Darwin” a tenu en haleine, à Annecy, les spectateurs chanceux venus découvrir la fantastique épopée du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) au sud du Chili. Crée en 1976 pour promouvoir un alpinisme de haut niveau au sein des armées, le groupe a, depuis, diversifié ses activités. Il constitue entre autres, aujourd’hui un vivier de spécialistes des conditions extrêmes pour des missions à caractère exceptionnel.
C’est dans ce cadre que s’est déroulée, de septembre à octobre 2011, la traversée de la chaîne des montagnes de Darwin en Terre de Feu. Présentées en première mondiale le 2 avril à Annecy, les images évoquent tour à tour un raid polaire et une expédition digne de l’Himalaya dans les conditions météorologiques tempétueuses du Cap Horn. Peu explorée et jamais traversée de part en part, la région est totalement inhospitalière pour l’homme. Durant trente jours, les six alpinistes qui l’ont parcourue à ski en traînant leurs pulkas, ont vécu l’enfer blanc, dans la neige, le vent, le froid, presque sans discontinuer. “Nous avancions à six, par cordée , sans nous parler ou presque durant la journée”, explique le caporal-chef Sébastien Ratel, benjamin de l’équipe, parti à tout juste 25 ans vivre cette aventure unique. “Il fallait ensuite monter les tentes en binômes pour se mettre à l’abri et sécher nos vêtements et notre matériel”.
Au delà de l’engagement
Des conditions extrêmes qui ont poussé ces hommes au delà de l’engagement propre aux montagnards, vers un dépassement presque inhumain dans une nature complètement hostile. “C’est le résultat de plus d’un an de préparation. La stratégie choisie a été le plus important”, résume le capitaine Lionel Albrieux, commandant le GMHM. Innover totalement, inverser l’équation en partant du poids à porter, -75 kg au gramme près-, et parcourir 130 km en autonome totale, sans filet, sans matériel de rechange. Aucun ne pouvait se blesser même si chacun était potentiellement en danger, en permanence.
“Il a fallu faire sans cesse avec le doute, et faire des paris avec ce doute”, complète l’adjudant-chef Sébastien Bohin La cohésion du groupe, sa détermination à avancer d’une seule voix, coûte que coûte, a elle fait le reste. Le film parfois s’interrompt tellement les conditions sont rudes, interdisant par sécurité les images. Après les immenses séracs et la traversée sur le fil de l’aguille, il s’achève dans un paysage presque verdoyant, dans les prairies qui bordent l’Océan Pacifique. Là seulement, l’équipe laisse alors apparaître son émotion et semble tout juste réaliser son exploit.
Un maître-mot: l’innovation
Derrière cette épopée en terre encore inconnue, le GMHM décline un autre de ses savoir-faire: rechercher, développer, expérimenter sont les mots-clés qui le conduisent à mettre au point les équipements, les matériels et les techniques nécessaires pour s’engager dans un tel milieu. Il a ainsi travaillé étroitement avec la société Millet au développement d’une veste, baptisée depuis “Darwin Jacket”: elle mêle avec succès les matériaux isolants type “gore-tex” à une fibre synthétique reprenant les qualités de chaleur de la plume d’oie des doudounes, mais résistante à l’humidité. Elaboré dix mois avant de partir, ce vêtement a été testé en conditions réelles, six exemplaires seulement ayant été fabriqués pour les alpinistes. “Nous avons aussi bidouillés nos propres chaussures pour les rendre à la fois souples, thermiques comme pour un 8000, étanches et articulées, ce qui n’existe pas sur le marché”, précise le caporal-chef Sébastien Ratel. Et pour s’orienter, des smartphones rechargés grâce à de grosses piles au lithium. Toutefois, cette technologie devrait céder le pas à d’autres dans les futures expéditions du GMHM qui travaille désormais à plein sur l’autonomie énergétique via les technologies solaire et éolienne.
Pour mener à bien une telle aventure technique, le Groupement Militaire de Haute Montagne s’appuie sur plusieurs partenaires dont Polytech Annecy-Chambéry, l’école d’ingénieurs de l’Université de Savoie, Thésame qui est le coorganisateur des Rencontres Innovation et Alpinisme depuis leur création, le Club des entreprises de l’Université de Savoie, avec le soutien de la ville d’Annecy et du Conseil général de la Haute-Savoie.