C’est la réalité des faits, souvent bien différente des objectifs politiques, qui a poussé Nicolas Hulot à démissionner. Pas la puissance des lobbies.
« Coup de tonnerre politique », « électrochoc », « énorme coup de théâtre » et même « sacrifice », il n’y avait pas de mots assez forts ce mardi 28 août 2018 pour qualifier la démission de Nicolas Hulot. Même si elle était attendue, de par son timing, elle a pris tout le monde de court y compris l’intéressé. Elle apparaît à beaucoup comme l’échec d’un homme honnête et meurtri, renonçant à ses convictions les plus profondes face à un gouvernement qui serait à la botte de lobbies maîtres du jeu.
Les oppositions, qui n’ont toujours pas digéré 2017, n’ont d’ailleurs pas tardé à récupérer l’événement et à charger le Président de la République : « vote de censure contre une macronie en voie de décomposition » pour Jean-Luc Mélenchon, « un homme trahi comme pas mal de Français par les promesses d’Emmanuel Macron » pour Laurent Wauquiez, « la réalité du pouvoir sans précédent de l’argent et des lobbies à l’intérieur même du gouvernement » pour Benoît Hamon et enfin « lorsque Nicolas Hulot dénonce la soumission du gouvernement au modèle économique ultralibéral, il met le doigt là où ça fait mal » pour Marine Le Pen.
Alors qu’en est-il réellement ?
Principe de réalité
La loi sur la transition énergétique votée par le gouvernement Hollande en 2014 visait à réduire la production d’électricité nucléaire française de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025. Cela aurait nécessité de déplacer 20 GW de nucléaire vers de l’éolien et du solaire photovoltaïque. Quand on sait que le taux de charge de l’éolien est de 20 % (contre 80 % pour le nucléaire), il aurait donc fallu à minima mettre en oeuvre l’équivalent de 70 GW d’éolien soient 35.000 éoliennes de 2 MW. Objectif inatteignable.
La solution alternative aurait été de rouvrir des centrales à gaz et donc d’augmenter nos émissions de gaz à effet de serre, une décision bien évidemment politiquement impossible. C’est donc bien l’irréalisme de l’objectif et non pas un quelconque lobbying nucléaire qui a obligé Nicolas Hulot à faire marche arrière.
Mesure purement symbolique
Inversement, l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire se targuait d’avoir fait voter en septembre 2017 une loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures (conventionnels et non conventionnels – gaz de schiste -) sur le sol français. Il avait déclaré qu’avec cette loi « la France assumait son rôle de chef de file dans la lutte contre le changement climatique ».
Il avait donc cette fois vaincu les puissants lobbyings pétroliers et gaziers. Quel nouveau péché d’hypocrisie quand on sait que la France produit aujourd’hui 1.000 barils par jour soit moins d’un pour mille de sa consommation pétrolière. Il est toujours très facile d’interdire zéro ! Tout le monde s’en moque. Imaginons un instant que la France ait produit 2 millions de barils par jour et que cette activité ait représenté 200.000 emplois. Le lobbying ne serait pas venu des grands groupes pétroliers, mais bien de la CGT et de Force ouvrière qui, sans aucun scrupule, auraient mis la France à feu et à sang pour que la loi soit retirée.
Deux visions
Il y a donc deux façons différentes d’interpréter la démission de Nicolas Hulot. La première est de se donner l’illusion de la résistance d’un homme courageux et intègre qui aura tout essayé face aux lobbies du pouvoir et de l’argent, « l’accumulation de frustrations, de défaites, d’arbitrages qui se sont faits systématiquement au profit des lobbies du vieux monde au détriment de l’environnement et de la santé » selon Yannick Jadot. Une démission sonnant comme un électrochoc environnemental, un message subliminal de gauche à la planète verte et à l’écologie militante.
La seconde est d’oublier les lobbies fantômes et de considérer la démission de Nicolas Hulot comme le résultat impitoyable de la réalité des chiffres que les politiciens détestent dans la mesure où ils leur donnent presque toujours tort. Le rétropédalage sur le nucléaire de novembre 2017 fut pour Nicolas Hulot le début d’un long chemin de croix au cours duquel la réalité des faits l’a chaque jour emporté sur ses convictions irréalistes au moins dans leur timing.
Erreur de casting
« On ne commande à la nature qu’en obéissant à ses lois », écrivait très justement Francis Bacon il y a plus de quatre siècles. C’est ce qu’a sans doute un peu oublié le journaliste vedette dans son désir enflammé de changer le monde. Si la sincérité de sa décision est respectable sur le fond elle risque d’être très lourde de conséquence sur la forme. Les « charognards » politiques les plus aguerris ne manqueront pas d’utiliser à leur profit la première interprétation pour essayer de déstabiliser un président de la République déjà fragilisé et ce au mépris de l’intérêt de la France et de la planète.
Emmanuel Macron en porte certes une lourde responsabilité. Il a voulu en choisissant Nicolas Hulot comme caution environnementale, donner un gage écologique à ses électeurs de gauche en contrepoids à ses choix économiques libéraux. L’erreur est magistrale, le résultat catastrophique en terme d’image. Il démontre clairement qu’il n’est pas possible de faire le grand écart entre la stratégie économique, la politique écologique et les choix énergétiques.
Le président a pour la première fois perdu cette maîtrise du temps qu’il affecte au plus haut point. Il lui appartient maintenant de la récupérer en désignant rapidement un nouveau ministre dont les convictions sont davantage en cohérence avec son projet présidentiel.
Philippe Charlez est expert énergie à l’Institut Sapiens.