Tous les 10 à 15 ans le Parc National des Ecrins et l’IRSTEA réalisent la carte précise d’un glacier pour en connaître les variations d’épaisseur sur toute la surface. Le bilan est réalisé à partir d’images aériennes. Il donne la tendance à long terme du bilan de masse du glacier sous l’effet des changements du climat.
La dernière mesure au glacier Blanc datait d’octobre 2002. Elle a été reconduite en septembre 2014 à partir de photographies aériennes réalisées par l’IRSTEA (1) pour le Parc national des Écrins. Le résultat est sans appel : le glacier blanc qui descend de la Barre des Ecrins, a perdu près de 42 millions de m3 d’eau en 12 ans ce qui représente, en moyenne, entre 9 et 10 m de perte d’épaisseur sur toute la surface du glacier.
Cette photo aérienne montre le croissant décrit par le glacier Blanc. Ce dernier a son origine en bas à gauche à la Barre des Ecrins dans la partie largement recouverte de zone d’ombre où on voit à gauche, le dôme de neige des Ecrins. Dans cette partie la plus élevée le glacier n’a pas ou presque pas reculé : les lignes rouge (tracées au 3 octobre 2002) et jeune, tracées 29 septembre 2014 sont superposées. Plus on descend le glacier et plus la partie exposée au sud (en haut de la photo) montre un recul avec une ligne jaune en retrait de la ligne rouge, le recul étant moins prononcé dans la partie de la face exposée au nord (rive droite du glacier, en base sur la photo). La différence la plus évidente se situe à l’aval du glacier nettement moins élevée et exposée au sud, où le fleuve de glace a totalement disparu laissant le rocher à nu. En 12 ans, le glacier a perdu en moyenne 9 à 10 m d’épaisseur sur toute sa surface qui a diminué d’environ 50 ha. ( photo IRSTEA)
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« Si l’on n’observe que peu de changements entre 3800 m et le sommet du glacier au Dôme de neige des Écrins (4015 m), c’est vers 3000 m que le glacier a perdu plus de 10 m d’épaisseur en face du refuge des Écrins, et jusqu’à 20 m dans la chute de sérac en face du refuge du glacier Blanc » explique Emmanuel Thibert, ingénieur de recherche à IRSTEA – ETNA Grenoble (1).
Au niveau du front actuel où émerge le torrent sous-glaciaire, 90 m de glace ont disparu depuis 2002. « C’est dans les zones terminales du glacier que les changements sont les plus marqués, là où la surface du glacier a le plus diminué (48 ha en moins, soit 10 % de sa surface initiale) et la langue glaciaire s’est retirée (370 m de recul). » Le glacier qui mesurait plus de 1000 hectares au milieu du dix-neuvième, en mesure moins de 500.
La fonte s’accélère
Au cours des 12 dernières années, le glacier a perdu en moyenne une lame d’eau de 70 cm chaque année, soit 40% de plus de ce qu’il perdait annuellement entre 1981 et 2002.
Évolution de la surface du glacier Blanc depuis 1853 et de sa longueur depuis l’extension maximale du Petit Age de glace de 1815.
La fonte s’intensifie en été
Cette perte de masse observée depuis les années 80 s’accentue depuis les années 2000 et indique que le glacier est de plus en plus en déséquilibre avec le climat.
« Les années 70-80 sont la dernière période au cours de laquelle le glacier a été à peu près en équilibre avec les conditions climatiques : son bilan de masse était équilibré, c’est-à-dire nul, les précipitations de neige accumulées l’hiver étant exactement compensées (à l’échelle du glacier) par la fonte estivale » explique Emmanuel Thibert.
La fonte d’été a augmenté en réponse à l’augmentation des températures atmosphériques. Le front glaciaire recule et le glacier perd en moyenne une lame d’eau de 50 cm chaque année entre 1981 et 2002. Le glacier a augmenté sa perte de masse annuelle entre 2002 et 2014, certainement parce que, simultanément, le climat continue de se réchauffer.
Les précipitations d’hiver qui alimentent en neige le glacier à haute altitude n’ont pas beaucoup changé depuis 30 ans. Ce sont surtout les conditions estivales qui expliquent l’accentuation : une fonte plus précoce au printemps, prolongée en automne et bien plus intense au milieu de l’été. Telles sont les principales causes identifiées par une étude menée par IRSTEA (2) au glacier de Sarennes, petit glacier voisin de 30 km du glacier Blanc dans le massif proche des aiguilles Rousses, en Oisans, objet d’observations continues depuis 1948. Pour le glacier de Sarennes, la perte de masse, systématique et observée tous les ans depuis 2002, est en moyenne de -2,9 m de glace par an.
Un grand bassin d’accumulation à plus de 3000 m et la variabilité inter-annuelle des conditions météorologiques qui apportent des hivers neigeux, ont permis au glacier Blanc de connaitre quelques bilans annuels excédentaires depuis 2002. Les mesures réalisées annuellement par le Parc national des Écrins montrent qu’en 2008, 2013 et 2014 des hivers bien enneigés conjugués à des étés pas trop chauds ont permis au glacier Blanc d’augmenter légèrement son volume. Mais, la tendance à long terme, celle liée à l’évolution du climat, est bien à une diminution du volume du glacier Blanc, comme on peut l’observer pour la quasi-totalité des glaciers de l’arc alpin.
(1) IRSTEA : Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (ex-CEMAGREF). ETNA – Érosion torrentielle, neige et avalanches.
(2) E. Thibert, N. Eckert, and C. Vincent (2013). Climatic drivers of seasonal glacier mass balances : an analysis of 6 decades at Glacier de Sarennes (French Alps). The Cryosphere 7, 47-66, doi:10.5194/tc-7-47-2013.