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Glyphosate: les étranges zones d’ombre du Centre international de recherche sur le cancer, par Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS. Il explique ici comment l’avis du CIRC sur le glyphosate a été en grande partie géré par   un ” spécialiste invité ” du Centre international de recherche sur le Cancer qui a ensuite signé des contrat avec des avocats pour déposer des plaintes contre des firmes.

Les Etats membres de l’Union européenne doivent se prononcer vendredi sur la prolongation de la licence du glyphosate, produit controversé largement utilisé dans l’agriculture et le jardinage. La Commission européenne leur propose de la proroger de cinq ans la licence du glyphosate. Pour être validée, cette position doit recueillir le soutien de 16 des 28 Etats membres, représentant au moins 65 % de la population de l’UE.

Après de multiples échecs, l’Union européenne tente une nouvelle fois de se mettre d’accord sur le sort du glyphosate. Pourtant si cet herbicide présente des risques inacceptables, pourquoi ne pas l’interdire ? Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classé en « cancérigène probable » en 2015. Ce qui a déclenché une vaste campagne contre son renouvellement. Cependant, l’affaire s’est rapidement révélée moins limpide qu’il n’y paraît.

Un avis du CIRC marginalisé scientifiquement

En effet, toutes les autres agences scientifiques qui se sont penchées sur le dossier contredisent le CIRC, dont trois autres organismes de l’OMS, l’Environment protection agency (EPA) des Etats-Unis, l’EPA néo-zélandaise, l’APVMA australienne, Santé-Canada, la FSC japonaise et, plus près de nous, l’OFAG, l’OSAV et le Conseil national suisses, l’Institut fédéral de l’évaluation des risques (BfR) allemand, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et l’Anses française. Curieux, non ? Et difficile de prétendre qu’elles ont toutes été « achetées »…

Des réactions peu scientifiques au CIRC qui interrogent

Il est rapidement apparu que le dénommé Christopher J. Portier, « spécialiste invité » par le CIRC et qui a joué un rôle important dans l’élaboration du rapport du CIRC, avait été rémunéré par l’Environmental defense fund, une organisation américaine anti-pesticides. Face aux contradicteurs scientifiques du rapport, Portier a eu une attitude bien peu scientifique, en menant une intense campagne de lobbying en Europe pour défendre ce rapport, en attaquant les autres agences. Kate Guyton, l’auteur principal de la monographie du CIRC sur le glyphosate, a également porté des accusations contre les autres agences, montrant elle aussi une absence manifeste de neutralité.

Le volet affairiste du dossier

Outre une interdiction éventuelle, les conséquences du classement du CIRC sont énormes : plaintes déposées aux Etats-Unis, encouragées par des avocats spécialisés. Le dossier prend ainsi un tour affairiste pour le moins étonnant (on ne peut que recommander aux lecteurs souhaitant avoir accès aux pièces du dossier de visiter ce blog d’un agronome, http://seppi.over-blog.com/tag/circ/). En voici un résumé.

 Le scandale révélé aux Etats-Unis

Des révélations ahurissantes viennent des déclarations de Portier lui-même, dans sa déposition sous serment lors les audiences sur les litiges en matière de responsabilité liées au glyphosate. On croit rêver ! La semaine suivant celle où le CIRC a publié son avis sur la cancéro-génicité du glyphosate, Portier a signé un contrat juteux en tant que consultant en litiges pour deux cabinets d’avocats, dont un se préparait à poursuivre Monsanto au nom de victimes d’un cancer. Cancer dont les avocats attribuent la cause au glyphosate… sur la base du classement du CIRC.

Ce contrat a rémunéré Portier à hauteur d’au moins 160 000 dollars (jusqu’en juin 2017) pour les premiers travaux préparatoires en tant que consultant sur ce litige. Selon la déposition de M. Portier, celui-ci avait également « accepté de ne pas divulguer son travail (…) à des organisations médiatiques, des journaux spécialisés, des publications professionnelles, des experts publics ou privés ». En somme, tous les tiers, politiques et journalistiques, ciblés lors de son lobbying anti-glyphosate. Sa campagne d’influence s’éclaire d’un jour nouveau : le classement du CIRC vaut des centaines de millions de dollars à soutirer aux producteurs du glyphosate… Les audiences ont aussi révélé que Portier avait des liens avec un de ces cabinets avant de participer au rapport du CIRC.

L’opacité du CIRC demeure

Les courriels fournis lors de l’audition judiciaire aux Etats-Unis montrent que le rôle de Portier s’est poursuivi, avec l’aval du CIRC, pour défendre mordicus le classement scientifiquement discrédité du glyphosate. Portier a également admis qu’avant les réunions du CIRC, il ne connaissait rien au dossier glyphosate ! Pourquoi a-t-il été choisi ?

Un autre membre du groupe de travail du CIRC, Charles William Jameson, a lui aussi été recruté par un cabinet d’avocats gérant une plainte collective contre Monsanto. L’audition d’un troisième membre du groupe, Matthew K. Ross, a révélé que des modifications de dernière minute ont eu lieu avant la publication du rapport. Une enquête de Reuters publiée le 19 octobre documente ces changements : des conclusions n’allant pas dans le sens d’un lien entre glyphosate et cancer ont été retirées de l’étude. Malgré ces révélations, le CIRC refuse obstinément de dire qui est le responsable de ces changements, ni de répondre aux autres questions manifestement dérangeantes.

Une enquête officielle est indispensable

Face à ce qui apparaît, si on veut bien sortir des a priori anti-pesticides, comme un scandale majeur, les autorités politiques se doivent de faire la lumière sur le fonctionnement du CIRC. Les choses bougent d’ailleurs à la Chambre des représentants aux Etats-Unis : les présidents de deux commissions scientifiques viennent d’écrire au CIRC au sujet des conflits d’intérêts évoqués et de son absence de transparence (non-retranscription des délibérations). Quelle est l’implication du CIRC dans les pratiques américaines en matière de contentieux dirigés contre les entreprises ? Qu’en est-il du financement et de la motivation des activistes anti-glyphosate ? Si la campagne contre le glyphosate a effectivement été construite sur la cupidité, a-t-elle été propagée en toute connaissance de cause par des militants et élus de l’écologie politique ?

Marcel Kuntz est directeur de recherche au CNRS, médaille d’or 2017 de l’Académie d’agriculture de France. Il n’a pas de revenu lié à la commercialisation ou l’utilisation du glyphosate, ni de contrats avec des avocats…

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