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La Société de défiance, par Yann Algan et Pierre Cahuc

L’absence de confiance entre individus, ou envers les institutions, génère des conflits, rend difficiles la négociation, la coopération, et finalement coûte très cher à la société, en emploi en particulier. Telle est la thèse développée par Yann Agan et Pierre Cahuc dans ” La Société de défiance” (1), publié aux éditions ENS ( Ecole Normale Supérieure) dans la collection du Centre pour la Recherche Economique et ses Applications.


L’hypothèse est audacieuse. Les deux chercheurs en économie partent d’enquêtes internationales montrant que le degré de confiance dans différents pays et différentes cultures n’est pas du tout le même. Ils montrent ensuite qu’un moindre degré de confiance incite par exemple les individus à demander des aides publiques auxquels ils n’ont pas droit ou à frauder l’impôt.


Le raisonnement d’un individu qui n’a pas confiance est en effet simple: il agit lui-même comme il soupçonne les autres d’agir. Les auteurs citent l’expérience réalisée depuis 1996 par le magazine Reader’s Digest qui consiste à abandonner dans 15 pays 20 portefeuilles contenant l’équivalant de 50 dollars. Au Danemark et en Norvège, 100% des portefeuilles sont rapportés, mais seulement 28% en Italie et 61% en France qui se classe onzième. Autre expérience qui mériterait d’être évidemment approfondie, les infractions au stationnement commises par les diplomates en poste auprès de l’ONU à New-York. Entre les diplomates Koweïteins et ceux des pays scandinaves, l’écart est impressionnant.


Etat-providence corporatiste


Partant de l’hypothèse d’une moindre confiance en France, les auteurs cherchent une explication. Ils la voient dans le fonctionnement corporatiste mis en place en France après la deuxième guerre mondiale. En France, expliquent Yann Algan et ïerre Cahuc, l’Etat providence a organisé la répartition de la richesse, des avantages, en cloisonnant des groupes, les corporations, chacun dotés de statuts, de protection. Chaque groupe jouit de bénéfices opaques, difficilement justifiés, expliqués. Le cas est évident pour les régimes de retraite, l’actualité en donne en ce mois de novembre 2007 un exemple. La France compte 10 régimes publics de retraite ( l’Italie12) , alors que les Etats-Unis, le Royaume Uni, la Suède, le Danemark, le Canada, n’en comptent que deux!


Algan et Cahuc explique que l’étatisme français a choisi une voie différente pour l’Etat-providence, du modèle social-démocrate ou du modèle libéral. L’Etat-providence ” social-démocrate” ouvre d’une manière universelle de nombreux droits, indépendamment des cotisations. Résultat: la proportion de la population qui a droit aux allocations maladie, chômage et retraite est bien supérieur dans ces pays à ce qu’il est en France. Le modèle libéral lui, repose davantage sur le ” marché” et sur la responsabilité individuelle: l’Etat ne protège pas de rente.


Défiance généralisée


Algan et Cahuc montrent quelques conséquences de cette situation de défiance assez généralisée dans une France ” corporatiste”. En France, la peur du marché ( les autres) est grande, comme est grande en même temps la défiance vis à vis des institutions, et même vis à vis des syndicats. La France multiplie donc réglementations, aussitôt détournées, fraudes, incivisme, mais aussi les difficultés de négociation, rigidité du fonctionnement social, lenteur et coût des évolutions.


Résultat: la défiance coûte très cher en richesse, en revenus, en pouvoir d’achat, en emplois. Algan et Cahuc citent une étude de l’OCDE selon laquelle l’écart de revenu entre les Français et les Suédois se réduirait de 60% si les premiers étaient aussi confiants que les seconds. Le Produit intérieur brut par Français serait accru de 1500 euros par an!


Les deux chercheurs suggèrent des remèdes: aller vers un Etat-providence, mais plus universaliste, vers plus d’uniformité pour les régimes de retraite, les contrats de travail, et une redistribution efficace vers ceux qui ont besoin. Une voie, la relance du dialogue social.


michel.deprost@free.fr



La Société de défiance, comment le modèle social français d’autodétruit, par Yann Algan et Pierre Cahuc, collection du Centre pour la Recherche Economique et ses Appplications, CEPREMAP, aux Editions de l’Ecole Normale Supérieure, Editions Rue d’Ulm. 99 pages, 5 euros.


Le CEPREMAP est placé sous la tutelle du Ministère de la Recherche. La mission prévue dans ses statuts est d’assurer une interface entre le monde académique et les administrations économiques. Il est à la fois une agence de valorisation de la recherche économique auprès des décideurs, et une agence de financement de projets dont les enjeux pour la décision publique sont reconnus comme prioritaires

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